Résumé des Pensées pour moi-même (page 3)
L’homme qui souffre, et qui se plaint, celui qui ne reste pas serein et impassible, c’est celui qui ne voit pas cette beauté, et qui cherche à se détacher du monde. Se plaindre, c’est refuser le monde et chercher à le fuir. C’est la partie qui cherche à se séparer du Tout, et qui essaie de devenir Tout elle-même.
On sait dans le domaine médical, qu’une tumeur est provoquée par un ensemble de cellules qui se mettent à vivre une vie autonome et qui se multiplient sans considération pour l’organisme dont elles ne sont que des parties, et dont elles vont provoquer la mort. En termes métaphoriques : ce sont des parties qui se coupent du Tout, et qui veulent devenir elles-mêmes leur propre Tout.
On comprend dès lors pourquoi Marc Aurèle dit :
L’âme de l’homme se fait surtout injure, lorsqu’elle devient, autant qu’il dépend d’elle, une tumeur et comme un abcès du monde. S’irriter en effet contre quelque événement que ce soit, est se développer en dehors de la nature, en qui sont contenues, en tant que parties, les natures de chacun de tout le reste des êtres 1.
Plus loin, Marc Aurèle utilise cette autre image : As-tu vu par hasard une main amputée, un pied, une tête coupée et gisante à quelque distance du reste du corps ? C’est ainsi que se rend, autant qu’il est en lui, celui qui n’acquiesce point à ce qui arrive, qui se retranche du Tout, ou qui agit à l’encontre de l’intérêt commun
2.
C’est parce que le monde est un cosmos harmonieux, qu’il peut constituer un modèle en éthique : Rien n’est mal de ce qui se fait selon la nature
3.
Pourtant, il semble que des imperfections se trouvent dans ce monde. Certaines choses sont mauvaises, laides, mal formées, etc.
Marc Aurèle montre dans les Pensées pour moi-même que ces défauts ont leur propre beauté, cachée, et concourent sans que l’on ne s’en doute à l’harmonie du monde :
Il faut encore prendre garde à ceci : les accidents mêmes qui s’ajoutent aux productions naturelles ont quelque chose de gracieux et de séduisant. Le pain, par exemple, en cuisant par endroits se fendille et ces fentes ainsi formées et qui se produisent en quelque façon à l’encontre de l’art du boulanger ont un certain agrément et excitent particulièrement l’appétit.
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Marc Aurèle multiplie les exemples :De même les figues, lorsqu’elles sont tout à fait mûres, s’entrouvrent ; et dans les olives qui tombent des arbres, le fruit qui va pourrir prend un éclat particulier. Et les épis qui penchent vers la terre, la peau du front du lion, l’écume qui s’échappe de la gueule des sangliers, et beaucoup d’autres choses, si on les envisage isolément, sont loin d’être belles, et pourtant, par le fait qu’elles accompagnent les œuvres de la nature, elles contribuent à les embellir et deviennent attrayantes
5.
On voit de ce fait qu’un homme qui aurait le sentiment et l’intelligence profonde de tout ce qui se passe dans le tout, ne trouverait pour ainsi dire presque rien, même en ce qui arrive par voie de conséquence, qui ne comporte un certain charme particulier
6.
Celui qui comprend cela atteint le bonheur, car partout où ses yeux se posent, il ne voit que des occasions de se réjouir.
C’est ce qui amène Marc Aurèle à lancer dans les Pensées pour moi-même ce chant vibrant :
Tout me convient de ce qui te convient, ô Monde ! Tout est fruit pour moi de ce que produisent tes saisons, ô Nature ! Tout vient de toi, tout réside en toi, tout retourne en toi 7.
L’univers est un cosmos harmonieux où se rencontre ordre, justice, nécessité et beauté. Marc Aurèle résume cela en comparant le monde à une Cité – et non un désert, ou une jungle : Rappelle-toi le dilemme : ou une Providence, ou des atomes, et par quels arguments il a été prouvé que l’univers est comme une Cité
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1 livre II, 16, p.48
2 livre VIII, 34, p.136
3 livre II, 17, p.49
4 livre III, 2, p.53
5 ibid., p.54
6 ibid.
7 livre IV, 23, p. 70
8 livre IV, 3, p.66