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couverture du livre

La Phénoménologie en questions

La logique et le langage, autrui, le temps, la mort : ce sont quatre problèmes fondamentaux autour desquels les grandes figures de la phénoménologie (Husserl, Heidegger, Levinas, Merleau-Ponty…) se sont opposées. Ainsi ces questions fondamentales font toucher aux limites de la phénoménologie 1.

Il convenait donc de les prendre pour fil directeur afin d’éclairer de l’intérieur cette mouvance phénoménologique, qui représente non pas une simple discipline particulière, mais une nouvelle conception de ce que doit être la philosophie 2.


Logique et langage

C’est là un point d’entrée privilégié pour la phénoménologie : On peut dire que la voie logique a constitué la voie royale de la phénoménologie 3, puisque son fondateur, Husserl, avait pour but de constituer une « généalogie de la logique », ainsi que le sous-titre de sa toute dernière œuvre en témoigne : Expérience et jugement, Recherches en vue d’une généalogie de la logique.


Il s’agit tout d’abord de remonter aux sources de la pensée de Husserl ; parmi les influences qui ont nourri sa pensée, on trouve Lotze, probablement le philosophe allemand le plus célèbre à son époque. C’est la lecture de sa Logique qui amène Husserl à rompre avec une conception psychologiste de la logique.

Lotze met en évidence la contradiction inhérente au scepticisme : Le doute lui-même n’est possible que sous la condition de la reconnaissance d’une quelconque vérité 4, une critique que l’on retrouvera au cœur de la pensée de Husserl. Il étend également la notion de réalité (Wirklichkeit), dont l’un des sens possibles est la « validité » (Geltung) :

Car nous nommons réelle une chose qui est, en opposition à une autre qui n’est pas ; nous nommons aussi réel un événement qui se produit […] par opposition à un autre qui ne se produit pas ; nous nommons réel un rapport qui subsiste par opposition à un autre qui ne subsiste pas, et enfin nous nommons réellement vraie une proposition qui est valable (gilt) par opposition un autre dont la validité (Geltung) est encore problématique 5.

Cette définition de la vérité comme validité, Husserl la reprendra à son compte au début des Recherches logiques, dans les « Prolégomènes à la logique pure ». Mais, ainsi que le remarque Heidegger, il bascule lors de la sixième Recherche dans une idée plus profondément phénoménologique de la vérité, celle de l’identité du visé et de l’intuitionné 6.

On voit donc ici comment la pensée de Husserl se constitue peu à peu, dans un rapport critique à la doctrine de Lotze.


Dans cette section consacrée au langage, Françoise Dastur examine aussi le projet husserlien d’une grammaire pure logique, chargée d’identifier les lois a priori de la signification, antérieure même à la question de la validité objective des significations 7. Autrement dit, cette discipline, que Husserl nomme aussi « apophantique formelle », a pour objet les propositions en tant que simples significations et non pas en tant qu’assertions ayant une validité objective, ce qui est du ressort de l’ontologie formelle 8.

Mais il faut remarquer que la phénoménologie a pour projet de revenir à un stade antérieur au langage, dans lequel il puise son sens : l’expérience antéprédicative. Il s’agit de reconduire les formations théoriques aux expériences originaires dans lesquelles elles ont puisé leur sens 9. L’auteure présente les grands traits de cette phénoménologie génétique du jugement 10 que l’on trouve exposée dans Expérience et jugement.

Autrui, le temps et la mort

Ce n’est pourtant là que la première partie de l’ouvrage.

Dans un second temps, Françoise Dastur se concentre sur un problème classique en phénoménologie : le rapport à l’autre. En effet, ce que Husserl se proposait d’élaborer, c’était une théorie de l’intersubjectivité et non de la subjectivité solipsiste et abstraite 11. C’est là l’impulsion originelle qui amènera Heidegger, Levinas, Merleau-Ponty et Ricoeur à partir dans des directions très différentes.

Pour Heidegger, ce qui est premier en effet, c’est « l’être-avec », et non un sujet isolé face à l’objet : Ce rapport est aussi originel que le Dasein lui-même qui, en dehors de ces rapports, n’est rien 12.

Pour Levinas, la question première n’est plus celle de l’Etre, comme chez Heidegger, mais celle de l’Autre, de sorte que le rôle de la philosophie première puisse être attribué non plus à l’ontologie mais à l’éthique 13.

Dans l’ouvrage Soi-même comme un autre de Ricoeur, Françoise Dastur voit le point culminant de cette dialectique de l’altérité et de l’ipséité qui constitue le niveau le plus fondamental de son herméneutique du soi 14.

L’auteure s’engage donc dans une lecture attentive des ouvrages de ces trois auteurs, afin de saisir l’originalité de leur réponse au problème d’autrui.


La temporalité sera elle étudiée au prisme de l’œuvre de Merleau-Ponty, qui nous mène vers une phénoménologie de l’événement, c’est-à-dire de ce qui dans le temps, échappe radicalement à la prise des concepts et à la maîtrise du sujet 15, mais aussi du dialogue entre Dilthey, Husserl et Heidegger autour de l’histoire, puis pour finir, une mise en regard éclairante de l’approche herméneutique de Ricoeur et Gadamer, concernant le récit et la conscience historique.

Enfin la question de la mort sera examinée d’après les travaux de Fink et Patocka, dans leur rapport à leurs maîtres spirituels, Husserl et Heidegger. On s’apercevra alors que Dieu fait ainsi retour à l’intérieur même d’une pensée de l’apparaître, pour laquelle « derrière les phénomènes, il n’y a essentiellement rien d’autre », comme l’affirment conjointement Husserl et Heidegger 16. Un phénomène surprenant qui amène Françoise Dastur à remarquer que c’est paradoxalement par cette pensée d’un dieu ayant perdu sa transcendance et demeurant essentiellement en retrait que la phénoménologie témoigne, plus que ne le font un athéisme militant ou un anthropocentrisme affirmé, de sa profonde rupture avec l’ensemble de la tradition métaphysique qui fut celle de l’Occident 17.

Conclusion

Un ouvrage très utile pour celui qui souhaite découvrir les grands axes de réflexion autour desquels un dialogue entre les différents phénoménologues s’est peu à peu noué.

Se concentrer sur ces quatre problèmes permet une lecture transversale des différents auteurs (Husserl, Heidegger, Levinas…) qui donne une meilleure vue d’ensemble de ce courant philosophique majeur qu’est la phénoménologie.


1 Avant-propos, p.8
2 p.7
3 p.8
4 Logique, 3ème livre, Felix Meiner Verlag, Hamburg, 1989, p.486
5 Ibid., p.511
6 p.29
7 Heidegger, Traité des catégories et de la signification chez Duns Scot, Gallimard, Paris, 1970, p.157
8 p.33
9 p.49
10 p.50
11 p.9
12 p.114
13 p.101
14 p.132
15 p.10
16 p.10-11
17 p.11