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couverture du livre

Devant la beauté de la nature

Pourquoi éprouvons-nous tant d'émotions devant un coucher de soleil, le spectacle de l'océan déchaîné ou la contemplation d'un paysage ?

Telle est la question à l'origine de cet ouvrage, qui se concentre donc sur le beau naturel, souvent délaissé au profit du beau artistique...



Pourquoi les êtres humains ont-ils un rapport non pas seulement utilitaire et instrumental, mais aussi contemplatif, admiratif avec la nature ? Ou plus simplement, pourquoi aimons-nous les couchers de soleil ?

Il s’agit là d’une question hélas délaissée par les philosophes. Si le beau artistique est l’objet d’une discipline à part entière en philosophie – l’esthétique – , le beau naturel, lui, en est bien souvent omis. 

Devant la beauté de la nature est justement né de ce désir d’interroger philosophiquement l’effet que produit le spectacle de la nature. Partant de cet émerveillement, Alexandre Lacroix réalise une véritable enquête, avec comme objectif principal de donner au lecteur des clés d’apprentissage pour dépasser l’élan spontané et percevoir plus finement les paysages qui nous entourent. 

Un traité d’esthétique environnementale

Dans les traités d’esthétique du XVIIIe siècle, chez des philosophes comme Alexander Baumgarten (inventeur du terme « esthétique ») ou Emmanuel Kant, il n’y avait pas de distinction entre la beauté de la nature et celle des œuvres d’art. Cela car, dans la vision monothéiste du monde, la nature était conçue comme une œuvre d’art, réalisée par Dieu. C’est suite à un affaiblissement de l’explication religieuse du monde qu’une séparation des deux domaines fut opérée. 

Cependant, dès 1818, dans son Esthétique, Hegel explique que l’esthétique comme discipline ne doit traiter que du beau artistique, pas du beau naturel, car le beau artistique est plus élevé que celui de la nature. Recommandation du philosophe idéaliste allemand au retentissement tel que l’esthétique est aujourd’hui encore majoritairement considérée comme un discours spécialisé sur l’art ! 

Il faudra attendre environ un siècle et demi pour que ce clivage soit remis en question. En 1966, Ronald Hepburn publie un article, « L’esthétique contemporaine et l’oubli de la beauté naturelle », renouant avec ce sujet délaissé. S’est alors créée dans le monde universitaire anglo-américain une discipline à part, peu connue, même des philosophes de profession, l’« esthétique environnementale ». 


Alexandre Lacroix présente et discute les trois principales positions qui se sont affirmées dans le champ de l’esthétique environnementale, de 1966 à nos jours : 


1. Le courant de la psychologie évolutionniste, partant de l’hypothèse que l’adaptation multimillénaire de l’espèce Homo sapiens à son milieu a modulé des préférences innées pour certains types de paysages. 

2. Le courant cognitif ou culturel (autour d’Allen Carlson), pensant que la culture nous permet d’aimer la nature et que nous apprécions d’autant mieux les paysages que nous connaissons les sciences naturelles, la biologie, la géologie et les arts.

3. Le courant mystique pour lequel, dans la nature, l’être humain rencontre un ineffable, un mystère, et il fait donc une expérience mystique du paysage.

Une expérience sensorielle et métaphysique

Lorsque nous sommes confrontés au spectacle du beau naturel, il s’agit d’une expérience physiologique (nous percevons la nature avec nos cinq sens, et pas seulement avec la vue), mais aussi métaphysique.

En effet, devant une œuvre d’art, l’humain est face à l’humain. C’est un homme qui s’adresse à un autre homme, à travers une expression artistique. À contrario, quand nous admirons un ciel étoilé, un questionnement métaphysique se dégage. L’humain est mis en contact avec le non-humain, avec ce qui n’a pas d’intention de sens, et les questions les plus profondes surgissent immédiatement : Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?, ou encore Pourquoi suis-je une conscience éveillée face à ce ciel immense ?. Par cette contemplation, l’humain se détache des interactions sociales mais aussi des échanges, des langages, des symboles – sentiment d’ouverture très singulier dont l’art n’offre pas l’équivalent. 

Or, selon Alexandre Lacroix, cette expérience, qui va au-delà de nos intérêts rationnels ou économiques, est très importante pour notre humanité, et il serait dangereux de la perdre.

L’atrophie sensorielle moderne

Avec la modernité urbaine, l’être humain souffre, en effet, d’une atrophie sensorielle face à la nature. Combien de chants d’oiseaux sommes-nous capables de reconnaître dans une forêt ? Très peu ! Et cette atrophie a des répercussions néfastes. L’auteur souligne le fait que lorsque nous traitons de la beauté de la nature, il ne s’agit pas seulement d’un débat d’esthètes : nous sommes ramenés à la considération de la fragilité et de la destruction de la planète. Et donc à des problématiques politiques et écologiques.

Le discours traditionnel de l’écologie politique a en effet trois choses à offrir : de l’expertise (des chiffres sur le réchauffement climatique etc.), de la catastrophe (les perspectives sont inquiétantes) et de la culpabilité (que nous soyons producteurs ou consommateurs). Pour l’auteur, ce discours a toutes les chances de rester inaudible, de ne pas prendre racine dans les cœurs. Il propose alors une approche différente : partir de l’esthétique, de l’émerveillement, et non de la catastrophe, pour essayer de remettre les consciences en mouvement. 

Ainsi, il est urgent que les hommes ravivent en eux la flamme de l’admiration et qu’ils tombent amoureux de la nature menacée. Où l’on voit qu’une éducation esthétique dirigée vers la nature pourrait enclencher un changement dans nos modes de consommation et de production. Éducation que l’auteur, tel un critique non pas d’art mais de nature, propose de transmettre dans son ouvrage.

Conclusion

Une passionnante étude sur des questions bien longtemps esquivées par la philosophie. L’approche multidisciplinaire d’Alexandre Lacroix (philosophie, littérature, poésie, peinture, psychologie évolutionniste, physiologie sensorielle, avec un détour par l’Asie et le Japon…) nous permet de ré-apprivoiser notre rapport au monde naturel. 

L’auteur propose un ouvrage mêlant érudition et expériences personnelles, théories et romanesque, que l’on ne peut que recommander à tous ceux qui s‘intéressent aux relations de l’humain à la nature. 

L’ouvrage nous apporte également un précieux recul critique qui nous aide à saisir l’origine et la signification des problématiques écologiques les plus actuelles.

Auteure de l'article :

Ghjulia Romiti, étudiante à la Sorbonne en histoire de l'art