- Accueil
- Thématiques
- Philosophie morale
- Des valeurs
Des valeurs - Une approche sociologique
Nathalie HeinichUne sociologie des valeurs est-elle possible ? A quoi ressemblerait-elle ?
Nathalie Heinich présente ici les fondements d'une sociologie axiologique, qui se distinguerait des approches antérieures de la notion de valeur. De quelle manière ?
Voici une présentation de cet ouvrage...
Dans ce livre paru en 2017 chez Gallimard, Nathalie Heinich propose une nouvelle approche de la question des valeurs. Il s’agit d’écarter les questions relevant de la philosophie morale (qu’est-ce qui a une valeur ?) pour privilégier un travail proprement sociologique : quelles sont les représentations sociales de la valeur ?
Cette question, ainsi formulée, est conforme à l’impératif de neutralité axiologique, formulé par Max Weber : pour qu’une recherche soit scientifique, il nous faut suspendre tout jugement de valeur pour nous en tenir à l’étude des faits. Nous ne cherchons plus ce qui a une valeur, pour nous en tenir à la description objective des valeurs en cours dans une société donnée, et leur analyse. Tel est le parcours qui nous mène de la philosophie morale à la sociologie des valeurs.
Cette dernière est encore peu développée, ainsi que N. Heinich le constate : Cette problématique a longtemps subi une invisibilisation de la part de la tradition matérialiste, et plus précisément marxiste, qui considère les valeurs comme un phénomène secondaire, superstructurel – voire purement illusoire – par rapport aux réalités matérielles, infrastructurelles
1.
Néanmoins les travaux des sociologues sur telle ou telle valeur particulière sont nombreux : l’originalité (Roland Mortier) la pudeur (Hans-Peter Duerr), la pureté (Mary Douglas) … pour n’en citer que quelques exemples. L’ouvrage le plus emblématique d’une sociologie des valeurs est probablement l’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme de Max Weber.
Ainsi peu à peu, on assiste à la mise en place d’une branche de la sociologie explicitement centrée sur les valeurs
2, qui utilise les outils à la disposition du sociologue, par exemple l’enquête d’opinion, le sondage. Mais N. Heinich pointe à juste titre les limites de cette démarche, qui n’aboutit, pour le moment du moins qu’à des vérités générales assez triviales, qui rendent quelque peu dérisoire le déploiement de moyens techniques en regard des résultats obtenus
3. Telle cette étude qui conclut qu’ aimer ce qui est beau est plus ou moins universel, mais les gens qui ont faim cherchent davantage à se nourrir qu’à satisfaire leurs émotions esthétiques
4.
N. Heinich propose une nouvelle approche, qui renouvelle en profondeur l’étude sociologique des valeurs : la « sociologie axiologique ».
L’idée est de mettre au jour une « grammaire axiologique » qui vient sous-tendre nos jugements de valeur, une sorte de structure sous-jacente à l’œuvre derrière nos processus de valorisation, en s’appuyant sur l’étude empirique de ceux-ci.
La scientificité de cette démarche repose sur trois points :
- On s’appuie sur l’étude empirique des jugements axiologiques émis, de fait, dans une société donnée
- On n’écarte aucun de ceux-ci en raison d’un préjugé normatif infondé sur ce qui aurait une valeur et ce qui n’en aurait pas : l’impératif de neutralité axiologique de Weber est donc respecté
- On n’en reste pas au simple plan de la description empirique, mais on cherche les lois ou les structures qui viennent unir ou relier ceux-ci : cette « grammaire axiologique », ou structure sous-jacente aux jugements de valeurs sociaux.
Cette étude est prometteuse, puisqu’elle débouche sur plusieurs résultats essentiels.
Ainsi voici les différentes possibilités qui s’offrent à nous lorsqu’on donne une valeur à un objet : on peut lui donner un prix, émettre un jugement de valeur explicite ou simplement être attaché à lui, même inconsciemment.
L’étude des formes d’attribution de valeur permet de dresser le tableau suivant :
(Note : le tableau n’est pas reproduit dans son intégralité)
S’appuyant sur ce premier résultat, Nathalie Heinich nous propose ce tableau des « Formules de valorisation et catégories de choses » :
Ce tableau représente un apport incontestable à la réflexion sur les valeurs. Il s’agit du premier résultat de cette grammaire axiologique que nous propose N. Heinich, qu’elle examine en propre dans le chapitre 10.
C’est en effet ici que l’auteur essaie de reconstituer la pyramide des étapes selon lesquelles se déploie un acte évaluatif en partant des propriétés concrètes de l’objet, qui sont en grand nombre, pour aller vers les différentes catégories d’outils cognitifs commandant l’évaluation, de plus en plus abstraits et de moins en moins nombreux
5.
Cela va nous amener à rencontrer successivement les prises, les critères, les valeurs, les registres de valeurs, les amplificateurs de valeur et les régimes de qualification
6.
Il faut saisir qu’exactement comme pour la grammaire d’une langue, c’est la maîtrise, essentiellement non consciente, de ces outils et de leur articulation qui permet aux acteurs de produire des jugements de valeur bien formés, donc acceptables comme tels – quel que soit l’accord ou le désaccord qu’ils peuvent susciter – par les participants d’une même culture
7.
Prises, critères, registres de valeurs… autant d’étapes que nous vous laissons découvrir par vous-mêmes dans cet ouvrage clair et pédagogique, illustré par de nombreux exemples issus des travaux antérieurs de l’auteur, en particulier sur l’art.
Nous vous invitons à vous plonger dans ce projet d'une sociologie axiologique qui replace la valeur - et l'axiologie -, au centre de la sociologie.
1 p.175
2 p.178
3 p.181
4 Ibid.
5 p.225
6 Ibid.
7 Ibid.