1. Accueil
  2. Thématiques
  3. Philosophie morale
  4. Questions de vie ou de mort

couverture du livre

Questions de vie ou de mort



Voici l'un des ouvrages fondateurs de l'éthique appliquée, de tradition anglo-saxonne.

Son auteur, Jonathan Glover, encore trop peu connu en France, fut professeur à Oxford, où il anima un séminaire pendant plusieurs années.


L’éthique appliquée : à la découverte de l’ « ethics of killing »

A-t-on le droit de tuer autrui ? Non, a-t-on envie de répondre spontanément…

Mais dans certaines circonstances, le trouble surgit : si un agresseur se rue sur moi, n’ai-je pas le droit de tirer sur lui, en état de légitime défense ? Si un fou s’empare du pouvoir politique, et projette de faire assassiner des milliers de personnes, n’est-ce pas un devoir moral au contraire que d’essayer de s’en débarrasser ? Et si un malade en fin de vie souffre atrocement chaque jour, et qu’il demande lui-même à ce qu’on le débranche de l’appareillage médical qui le maintient en vie, n’est-ce pas lui rendre service que de lui obéir ?

Toutes ces questions relèvent de ce que les anglo-saxons nomment « ethics of killing ». C’est là un champ de l’éthique appliquée, qui a connu un essor particulier dans les années 1960. En Grande-Bretagne, c’est Jonathan Glover, titulaire d’une chaire à Oxford, qui joue le rôle de pionnier. Dès 1968, il dispense ses cours lors d’un séminaire auquel assistent de futurs penseurs tels que John Harris, Peter Singer, Jeff McMahan… Eux-mêmes apporteront des contributions décisives dans ce domaine, celui de l’éthique appliquée.


Ce livre de Jonathan Glover est donc un témoignage précieux de ce moment historique où la pensée anglo-saxonne se tourne vers les questions d’éthique appliquée, un mouvement encore à l’œuvre aujourd’hui, qui débouche sur la parution de nombreux travaux novateurs.

Eviter le relativisme ou le dogmatisme

On évite bien des problèmes théoriques en adoptant l’une de ces deux positions simples : « on a un droit absolu de tuer », « on n’a aucun droit de tuer, quelles que soient les circonstances ».

Dès que l’on choisit une position plus modérée, et que l’on admet ce droit sous certaines circonstances, les problèmes apparaissent : quels principes doit-on suivre ? Y a-t-il un principe ou plusieurs ? Se contredisent-ils parfois ? Sur quoi se fondent-ils ?

Jonathan Glover examine les situations privilégiées dans lesquelles ce type de question peut venir se poser : l’avortement, l’infanticide, le suicide, l’euthanasie, l’éthique médicale, la peine de mort et la guerre.

Est-il possible de décider, dans l’un ou l’autre de ces contextes, s’il est légitime d’ôter la vie à un homme ? Peut-on aboutir à un système de réponses non contradictoires couvrant l’ensemble des questions relatives au faire mourir ? 1.

Telle est la question autour de laquelle l’ouvrage s’articule. Il faut avoir le courage d’affronter ces problèmes qui donnent le vertige, ces questions de vie ou de mort, pour éviter à la fois le relativisme qui laisse la porte ouverte aux comportements les plus absurdes ou inhumains, et le dogmatisme qui ne peut convaincre du bien-fondé de sa position.

Une approche singulière

L’originalité de l’approche de Glover dans le traitement de ces questions, c’est qu’il utilise un procédé bien connu en philosophie analytique, popularisé par Wittgenstein : l’expérience de pensée.
« Imaginez que… Que feriez-vous ? ». « Et dans tel ou tel cas, comment agiriez-vous ? ». Et « en modifiant telle ou telle circonstance dans la situation examinée, cela changerait-il votre attitude ? ». L’idée est de sortir d’une approche purement conceptuelle, pour passer au crible de l’analyse nos principes moraux en situation : un principe essentiel en éthique appliquée.

Grâce à cette méthode, on peut parvenir à des résultats intéressants. Par exemple on peut montrer qu’une croyance morale est dépendante de concepts confus ou incohérents 2, « ou faire prendre conscience à quelqu’un que ses croyances ont des conséquences inacceptables à ses propres yeux et auxquelles il n’avait pas prêté attention 3.

Ainsi par exemple certains principes généraux utilisés en vue de défendre l’avortement fournissent une justification tout aussi pertinente de l’infanticide. Quiconque adhère à un tel principe tout en étant incapable d’assumer la conséquence selon laquelle l’infanticide serait légitime se voit pris au piège d’une incohérence logique. Dans ces conditions le principe général doit être abandonné ou modifié, faute de quoi il convient d’accepter la conséquence déplaisante 4.


De là cette formulation de la méthode générale que va suivre Glover, innovante et audacieuse : Selon l’approche évoquée jusqu’à présent, les principes moraux sont « testés » à travers leurs conséquences, selon que nous jugeons celles-ci acceptables ou non 5.

Il remarque que cette interaction entre nos réponses, d’une part, et nos croyances morales générales d’autre part, est en un sens similaire à celle qui a lieu entre les observations et les théories scientifiques 6.

Ce qui lui permet de définir ainsi le but qu’il convient de rechercher en éthique appliquée :

Tout comme la rationalité scientifique implique un effort pour harmoniser les théories et les observations, la rationalité éthique exige que nous essayions de formuler un ensemble cohérent de convictions permettant de rendre compte du plus grand nombre possible de nos réponses 7.

Tester ses propres croyances éthiques

C’est là un test passionnant auquel cet ouvrage vous invite : passer vos convictions morales à la question, à la lumière de telle ou telle situation concrète. Vous pourrez ainsi vérifier que face à ces questions de vie ou de mort, vos convictions vacillent, s’effondrent, et parfois changent du tout au tout…

Vous serez ainsi amené à réfléchir aux questions suivantes : « la vie humaine est-elle sacrée ? », ou le simple fait d’être humain possède-t-il une valeur intrinsèque ? », « existe-t-il un droit à la vie ? », « le fœtus peut-il être considéré comme une personne ? », « y a-t-il des vies dignes d’être vécues et d’autres qui ne le sont pas ? », « la vie d’une personne connue vaut-elle davantage que celle d’un anonyme ? », etc.


Un livre fondateur d’un auteur encore méconnu en France, que devrait ouvrir tous ceux qui s’intéressent à l’éthique appliquée, et aux débats philosophiques sur l’euthanasie, la notion de guerre juste, le suicide, etc.



1 Benoît Basse, in Questions de vie ou de mort, Labor et fides, Paris, 2017, Introduction à l’édition française, p.12
2 Chap.2, p.34
3 Ibid., p.35
4 Ibid.
5 Ibid., p.36
6 Ibid., p.37
7 Ibid.