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couverture du livre

Eléments pour une archéologie de la loi

La notion de loi se distingue par sa polysémie : elle est employée dans de nombreux sens très différents les uns des autres, et parfois contraires. La loi que consulte le juriste n‘est pas la même que celle que découvre le scientifique ; et qu’est-ce que la loi telle que Kant la théorise a à voir avec les Tables des Lois rédigées par Moïse sous la dictée de Dieu ? Il convient donc de faire l’archéologie de cette notion, un vaste chantier que Joëlle Burou-Strauser initie dans son travail de thèse.


La crise contemporaine de la notion de la Loi

Au XVIIème siècle et XVIIIème siècle, la notion de loi est réélaborée, et trouve son sens moderne.

Celle-ci se définit tout d’abord par sa prétention à l’universalité et la nécessité. On distingue ensuite deux types de lois : les lois descriptives, de type : l’eau bout à 100°, et les lois prescriptives, telles que « tu ne tueras point ». Enfin, on imagine un fondement transcendant de celle-ci, qu’il s’agisse de Dieu, de la Nature ou de la Raison.

Mais différentes crises au XXème siècle, politiques, juridiques ou épistémologiques viennent remettre ce modèle en question. La recherche de l’universel est ébranlée par le triomphe contemporain de l’empirisme, du relativisme, des particularismes, et des événements tels que les deux guerres mondiales.

Ensuite, la distinction descriptif/prescriptif se brouille : il faut remarquer que la loi « descriptive » est aussi prescriptive dans son concept même, dès Descartes au moins, sinon plus tôt, et de façon déclarée chez Kant, pour lequel on sait que l’entendement est « législateur » 1.

Enfin, on peut imaginer un fondement immanent de la loi, celle-ci ne se fondant sur rien d’autre qu’elle-même, comme le soutient le positivisme juridique de Kelsen.


C’est ce renversement fondamental qu’il convient d’examiner de près : un travail d’ archéologie, parce qu’il s’agit de chercher, dans le passé – encore présent et actif – de la notion, les traces ou les vestiges de sa constitution et de ses emplois, mais aussi parce que l’ἀρχή (arkhê), en grec, signifie à la fois le commencement et le commandement 2.

Obscurité et splendeur de la loi

La première partie vient établir la présence du descriptif au sein des lois prescriptives, et vice-versa.

L’œuvre de Montesquieu est particulièrement sollicitée pour ce faire. On sait en effet que celui-ci affirme dès le début de l’Esprit des Lois que les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses et, dans ce sens, tous les êtres ont leurs lois ; la Divinité a ses lois ; le monde matériel a ses lois ; les intelligences supérieures à l'homme ont leurs lois ; les bêtes ont leurs lois ; l'homme a ses lois 3.

Il se place ainsi dans la lignée de ces auteurs d’une « science », d’une connaissance rigoureuse de ce qui est, science qui permettrait de prescrire ce qui doit être institué dans l’ordre humain 4. Déduire le prescriptif du descriptif, le devoir-être de l’être, vient ainsi brouiller la distinction entre ces deux ordres.


Dans la seconde partie, nous explorons l’aube de la Loi, ce moment où elle émerge en tant que telle : le Décalogue. C’est là un moment privilégié, puisque s’il est une conception de la Loi qui la donne pour transcendante, c’est bien celle de la Loi que Dieu a donnée aux Hébreux au Sinaï. C’est même le paradigme de la loi d’origine transcendante dont le fondement serait parfaitement assuré 5.

Les figures d’Antigone et de Socrate sont examinées, l’une incarnant la référence aux lois non écrites, l’autre au contraire, le respect des lois écrites, du « droit positif », jusqu’à la mort.

Kant, Rousseau, font également l’objet d’un examen approfondi.

On en vient alors à la troisième et dernière partie, qui s’intéresse à la notion de « règles », qui a tendance à remplacer, dans nos sociétés contemporaines, celle de « loi », en particulier chez Wittgenstein. On sait en effet que les « jeux de langage » véhiculent des règles ; ce sont elles qui les constituent en tant que tels et les distinguent d’autres jeux de langage.

Conclusion

Une thèse très riche en références, qui concilie approche logique et historique, et brasse un champ de phénomènes très vaste…

Peu à peu, ce travail de clarification porte ses fruits, et cette notion qui ressemblait à un nœud formé de la pluralité des significations qu’elle porte en elles, se « dénoue » peu à peu et nous apparaît dans une plus grande clarté. Une approche d’inspiration wittgensteinienne, que celui-ci n’aurait pas désavoué.

Nous en recommandons donc la lecture à tous ceux dont les recherches portent sur la notion de loi, et plus généralement, ceux qui s’intéressent à l’épistémologie, au droit ou à la politique.


1 p.9
2 p.15-16
3 De l’Esprit des Lois, 1ère partie, Livre I, chap. 1
4 p.63
2 p.87