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couverture du livre

Obéir à Dieu en démocratie - La nouvelle querelle de la laïcité

A l’heure où la défense des identités notamment religieuses semble constituer le nouvel horizon de nos démocraties, que signifie être laïc ?

Répondre à cette question exige de comprendre les fondements modernes de la servitude volontaire pour nous éclairer et défendre la liberté de conscience héritée des Lumières.


Voir aussi : Religion


Je crois donc je suis

Mon propos est d’identifier les motifs qui conduisent certains individus à exister par Dieu au sein de l’espace public.

Cette reconnaissance de la croyance et de ces préceptes dans la vie collective constitue une traduction directe du libéralisme politique tel qu’il est défendu dans les sociétés nord-américaines. Le courant communautarien anglo-saxon fonde l’importance de la loi religieuse dans la structuration morale et politique des citoyens.

Bien que le libéralisme traduise une séparation entre la loi des hommes et celle de Dieu, j’étudie la manière dont certains auteurs comme Charles Taylor ou de manière plus radicale Alasdair McIntyre définissent la construction du sujet moderne par le questionnement moral, ce qu’ils nomment l’intérêt pour les questions qui comptent.

Le référentiel religieux ou dogmatique prend une place particulière pour ne pas dire essentielle dans cet apprentissage de l’autonomie morale et politique. Il constitue le « milieu » dans lequel tout individu va apprendre à considérer le rapport à la justice, au bien, à autrui ou à la nature.


L’intérêt de ces auteurs est sans aucun doute de remettre en cause ce que la tradition française laïque a longtemps choisi de mettre de côté, voire de nier.

L’homme naît dans un milieu déterminé et le rapport à Dieu qu’il soit positif ou négatif est l’un des vecteurs de cette construction dans le dialogue familial et social proche.

L’éveil de la pensée critique repose sur une appropriation de la tradition pour développer sa capacité de réflexion, de mise à distance. Il en résulte que l’émancipation libérale qui constitue le geste éducatif de responsabilisation des futurs membres de la cité n’est pas vécue sur la base d’une méfiance envers le dogme religieux mais dans une relation de confiance et d’appui.


Si ces auteurs communautariens permettent de rééquilibrer la place de Dieu dans la constitution du sujet, la traduction politique qui en résulte présente des limites incontestables.

Mon propos est de mettre en lumière un paradoxe majeur de ces pensées qui inspirent les partisans de la laïcité ouverte.

En ménageant l’expression de la croyance dans l’espace social et en accommodant les règles qui encadrent les rapports sociaux, ils donnent une visibilité à Dieu et invisibilisent le rapport d’autorité problématique pour toute démocratie. La reconnaissance de l’identité religieuse dans l’espace politique pose la redoutable question de l’usage de liberté, plus précisément de sa perversion en un asservissement désiré.

La tentative catholique d’allier Dieu et démocratie

Certains penseurs catholiques comme Jacques Maritain ou Gaston Fessard ont tenté de réfléchir à la capacité d’exprimer et de vivre la plénitude de sa croyance dans un cadre politique marqué par la séparation des ordres de la loi divine et celle des hommes.

La seule possibilité est d’ancrer l’expérience d’une foi pleinement vécue dans un ordre politique favorable à Dieu par la mise en œuvre des enseignements de l’Eglise romaine.

Comment cet Etat propice à la libre expression religieuse et ferment de l’unité des citoyens peut-il être compatible avec le pluralisme des valeurs et des idées si structurant d’un Etat démocratique et libéral ? Là se joue la limite de leur proposition.

S’ils acceptent la pluralité des croyances, tout en ne renonçant pas à « convaincre » que la foi catholique porte en elle la vérité sur toute chose, l’athéisme constitue le point d’achoppement. Il oppose la liberté de ne pas croire et de réfuter la vérité révélée par l’argument rationnel de la non-preuve de Dieu ou par l’idée que la religion est une entrave à la liberté des hommes.


Maritain comme Fessard ont le mérite d’illustrer comment une définition religieuse de la liberté considère que la pleine obéissance à la loi divine est liberté : la volonté du croyant et celle de l’autorité divine ne font qu’un.

La liberté en Dieu est une expression à front renversé de la volonté et du libre-arbitre kantiens. L’anti-libéralisme catholique prend racine dans cette contestation de la liberté d’autonomie, terme utilisé par Maritain pour qualifier la thèse hégélienne de la liberté objective.


La confrontation de ces pensées à la réalité historique nous apprend qu’au-delà des apories théoriques, la volonté de construire un Etat national et catholique a révélé l’impossibilité de concilier le pluralisme démocratique et des institutions politiques fondées sur les enseignements de l’Eglise.

Parmi tous les régimes autoritaires fascistes qui ont vu le jour dans l’entre-deux guerres, la jeune République autrichienne présente la particularité d’avoir tenté d’institutionnaliser cette conception catholique d’un gouvernement de la cité fondé sur l’autorité de l’enseignement de l’Eglise et non sur celle du débat pluraliste. Ce fut un échec dans son ambition et dans sa faiblesse face au nazisme.

La charge potentiellement autoritaire de la laïcité ouverte

Ainsi que l’écrit Claude Lefort :

Si la servitude volontaire est signe d’une peur (…) n’est-ce pas celle d’une mort symbolique, celle de l’indétermination qui nous habite, comme être séparés et qui tient à notre liberté ? 1

La question du surgissement de Dieu dans l’espace social et politique de nos démocraties modernes est le signe d’une crise du sens de l’expérience démocratique.

Cette crise se définit par l’incapacité de définir les fondements de l’unité politique de la cité. Les lois démocratiques ne font pas sens pour tout le monde et sont contestées dans leur capacité à répondre aux grandes questions qui structurent un logos et un agir communs.

Le problème de la servitude volontaire en démocratie lorsqu’elle se veut visible et structurante de l’espace politique et social prend racine dans une crise de la connaissance de nous-mêmes, d’une impuissance réflexive.


La nouvelle querelle de la laïcité se joue ainsi dans notre capacité à définir les nouveaux rapports de connaissance entre raison et vérité révélée.

Et le lieu de ce travail est double : au sein de chaque institution religieuse et au sein de l’université.

Auteure de l'article :

Bénédicte Renaud-Boulesteix est docteure en études politiques de l’EHESS & haut-fonctionnaire.

1 Claude Lefort, « La croyance en politique. La question de la servitude politique », in Temps présent, Paris, Belin, 2007, pp. 893-906