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couverture du livre

La Reconquête du sujet

La crise de la psychiatrie est liée au glissement du paradigme cartésien de la subjectivité vers un paradigme purement « moniste » de l’homme. La perte du Sujet en est la conséquence.

Or si le Sujet disparaît la psychiatrie disparait avec lui. Redécouvrir que la maladie mentale est propre à l’homme, n’est-ce pas la voie royale vers la reconquête du Sujet ?


La déconstruction de l’homme

Les sciences de l’homme se sont substituées à l’ontologie cartésienne de la subjectivité en instaurant un nouveau paradigme où l’homme se construit à partir de structures historiques, linguistiques, sociologiques, et autres.

En perdant son essence, il ne peut plus prétendre à être le Sujet de son monde. C’est pourquoi, on ne parle plus de l’homme mais des faits humains. Le Sujet est devenu un complément de qualité. Le paradigme moniste est incarné par les maîtres penseurs de l’époque contemporaine : Marx, Comte, Durkheim, Freud etc.

La science de l’homme devient celle de l’homme éclaté. Il n’y a plus de science de l’homme mais des sciences de l’homme. L’homme est devenu une antinature. L’avènement de ce nouveau paradigme a signé la disparition du Sujet et de la conscience qui en est son corollaire. La philosophie de l’esprit a remplacé celle de la conscience.

Pour la psychiatrie les conséquences sont incommensurables. La perte du Sujet déclare, de facto, la disparition de toute psychologie. Freud ne s’y est pas trompé en affirmant que le Moi n’est qu’une illusion et Michel Foucault résumait tout cela dans sa célèbre formule: L’idée d’homme est une idée obsolète.

Au paradigme moniste de la déconstruction est venu s’ajouter celui de l’homme neuronal. L’approche cognitiviste qui en est la méthode a bouleversé toutes les perspectives sur l’homme en le réduisant à n’être qu’un vivant parmi les vivants et a fait des sciences de l’homme une branche de la biologie. Tout ce qu’il pouvait y avoir d’humain a disparu. Les faits humains ne sont plus qu’une espèce particulières de phénomènes neurologiques.

La pensée contemporaine est non seulement psychiatricide mais aussi humanicide.

La reconstruction de l’homme

Il est évident que Henri Ey en sa qualité de psychiatre ne pouvait pas faire autrement que de combattre la déconstruction de l’homme qui entraîne la dissolution du Sujet.

Paradoxalement, c’est dans Freud qu’il trouve le meilleur défenseur du Sujet avec sa découverte de l’inconscient comme refoulé (la découverte la plus importante en psychologie). Elle permet d’en finir avec la déconstruction du Sujet. Le refoulement dévoile en creux, la présence d’un « quelque chose » qui refoule, de fait , la présence d’un Sujet. C’est donc bien à partir de Freud qu’il est possible de repenser la question du Sujet et de la conscience.

Le Moi freudien, par sa fonction refoulante, ne peut pas être réduit à la seule fonction adaptative et calculatrice. Il n’est pas une fiction. La « folie » ne se réduit pas à un simple dysfonctionnement. C’est une maladie propre à l’homme et à sa condition, elle est liée au devenir de l’état subjectif. Les maladies mentales sont les « pathologies » du « devenir conscience ».

C’est pourquoi Henri Ey précise : Si j’ai eu l’audace de l’aborder c’est uniquement parce que la Psychiatrie a quelque chose à dire (qu’elle n’a jamais dit) sur l’être conscient dont la désorganisation fait l’objet de son propre savoir.


Seul un psychiatre qui est aussi un médecin pouvait replacer la question de la maladie mentale dans son cadre réel, celui d’une pathologie. La folie est la « pathologie de la liberté » car elle est la maladie de l’impossible expression de la conscience engluée dans son corps. Elle est tout autant « le contre sens de la raison » car le Sujet y est dans l’incapacité de faire émerger par la Parole un monde subjectif de sens. La maladie mentale met en évidence l’impossible production du « corps psychique ».

Le Sujet est le « devenir conscience » qui structure, hiérarchise et finalise le monde de la subjectivité en lui donnant ses propres lois, un sens. C’est ce que la pensée contemporaine veut ignorer au nom d’une possible résurgence de la métaphysique mais, ce faisant, elle réduit l’homme à n’être qu’une notion abstraite, hors de tout contexte, bref, elle le « chosifie ».

La folie est bien la « pathologie de la liberté » car dans la folie aucune interlocution n’est possible et par conséquent aucune rencontre entre sujets sans laquelle aucune humanisation du monde n’est possible. Le monde humain est une modalité unique dans l’univers. Henri Ey détaille ce processus dans l’ « organodynamisme », la science du « devenir humain ».

Le retour du Sujet

Quand le Sujet pense, sa pensée ne se réduit pas à calculer, elle produit un monde symbolique et signifiant. Parler c’est donner du sens et comment pourrait-il y avoir du sens sans conscience ? C’est une évidence. L’homme est un être de langage et le langage ne fait pas que nommer, il est l’outil de la conscience qui organise selon des lois qui lui sont propres le monde symbolique.

A contre-courant des paradigmes de la pensée dominante, Henri Ey montre que les dérives structurales et cognitivistes sont la conséquence d’une approche qui abstrait l’homme et ignore la réalité du monde langagier des Sujets. Il n’y a pas de langage sans Parole et parler ce n’est pas simplement activer des structures informelles, c’est construire la réalité du Sujet, sa « chair », le monde symbolique. Quand on parle « ca ne parle pas » mais « je parle ».

Tout ceci démontre pour Henri Ey que la déconstruction à l’œuvre dans la pensée contemporaine est une inversion de toutes les évidences. La déconstruction du Sujet est une impasse. Avec Henri Ey, la révolution copernicienne psychiatrique est à l’œuvre : il existe un « état subjectif » avec ses propres lois, sa propre organisation.

Le retour du Sujet permet de renverser les perspectives et de faire d’une science à la troisième personne, une science à la première personne ; une science non plus de l’homme mais de l’humain, qui étudie l’état particulier du monde de la subjectivité. La conscience n’est pas un état qualitatif, comme l’affirment les tenants du déconstructivisme, elle est un processus dynamique, hiérarchisé et finalisé.

L’émergence de la Personne

Le « Sujet » n’est pas l’apanage de la vieille métaphysique, contrairement à ce que voudraient faire croire les défenseurs de la philosophie de l’esprit, mais d’une métaphysique descriptive. La réalité humaine se construit de manière dynamique par la subjectivation du monde, par la mise en symbolisation du réel.

Le langage-parole énonce le monde, il en fait un « objet de pensée », un symbole. Grâce au travail de la symbolisation les singularités peuvent se rencontrer et échanger dans un monde qui leur est propre. La réalité humaine c’est l’interlocution. C’est dans le dialogue, l’échange de symboles et de sens que le Sujet apparaît.

C’est dans la construction d’un sens commun que se constitue le monde humain et dans la différenciation des Sujets que se dévoilent les Personnes. La Subjectivité, dans le droit fil de la pensée cartésienne, retrouve sa valeur.


Henri Ey propose de partir non pas de la notion d’homme, notion abstraite et désincarnée, mais de la Personne, Sujet incarné aux prises avec les autres subjectivités pour former un monde commun, le monde de l’humain. Le fondement de la science ne peut pas être l’étude des « faits humains » qui ne sont que les résultats des processus de conscientisation du monde, mais l’étude des lois de la subjectivation du monde, pour comprendre comment se nouent les relations symboliques qui participent à la constitution d’un « corps psychique », condition de l’humain. La science des « devenir Personne », tel est l’objet de la psychiatrie et de la science de l’humain.

On comprend, alors, pourquoi seul un psychiatre qui est aux prises avec la déconstruction de la conscience au quotidien, était le seul à pouvoir effectuer le renversement des perspectives.

Le Personnalisme eyien

Le Personnalisme est la forme philosophique de l’œuvre psychiatrique eyienne. La notion de « Personne » se dégage à partir de la théorie du « corps psychique » qui est le cœur de la possibilité d’une science de l’humain. Une science à la première personne qui étudie non plus l’homme mais la Personne « incarnée », un Sujet dont la subjectivité est sa chair.

Le recours au Personnalisme est indispensable si l’on veut en finir avec les égarements dans lesquelles se sont fourvoyées les sciences de l’homme. Il est temps de redonner vie aux Sujets et de renouer avec l’Humanisme.

Conclusion

Il est difficile d’admettre qu’une telle œuvre, une telle remise en question des paradigmes contemporains, n’a pas eu plus d’écho. Face aux impasses contemporaines des sciences de l’homme, il est temps de rappeler que des voies et des voix existent pour sortir de la métaphysique actuelle.

Auteur de l'article :

Docteur en philosophie, Philippe Prats est professeur agrégé de philosophie.