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La modernité manquée du structuralisme
Maxime ParodiPourquoi le structuralisme, en plein essor dans les années 60, finit-il par péricliter ?
Telle est la question à l'origine de cet ouvrage, qui retrace l'histoire de ce mouvement intellectuel au destin si particulier.
Le structuralisme français est un étrange mouvement d’idées. Il a constitué un grand espoir de modernisation des sciences humaines au cours des années 1950-1960, sous la houlette, principalement, de Claude Lévi-Strauss en ethnologie, de Jacques Lacan en psychanalyse, de Roland Barthes en sémiologie, de Louis Althusser en sociologie et de Michel Foucault en histoire et en philosophie.
Il acquiert une ampleur telle qu’il bouleverse le paysage intellectuel et remanie en profondeur l’université française après Mai 68. Puis, à partir des années 1970, l’ambitieux programme s’effondre, plus rapidement encore qu’il ne s’était imposé, et nourrit au passage une position hypercritique à l’égard de la modernité.
Le livre La modernité manquée du structuralisme revient sur cette aventure intellectuelle pour en comprendre l’engouement ainsi que les raisons de l’échec. Mais également pour expliquer sous cet angle la singularité française et ses conséquences.
Naissance d’un programme pour les sciences sociales
Le structuralisme naît avec la thèse de Lévi-Strauss sur Les Structures élémentaires de la parenté (1947). Et, au fond, tout le destin du structuralisme est contenu en germe dans cette thèse ambitieuse et radicale. On en retient généralement le passage sur la prohibition de l’inceste. Renouant avec Rousseau dans son Essai sur l’origine des langues, Lévi-Strauss explique cette prohibition à partir de l’ouverture des familles les unes aux autres par l’échange de femmes. La prohibition de l’inceste correspond au moment où les familles font société et se donne le premier terme de leur Contrat social.
Cependant, le cœur de la thèse est ailleurs. Lévi-Strauss se consacre surtout à l’étude des règles de mariages au sein des sociétés premières et sur les effets systémiques produits par différentes sortes de règles. Car, s’il y a toujours prohibition de l’inceste, chaque société a ses propres règles qui prohibent certains mariages et, parfois, en prescrivent d’autres. Pour ne donner qu’un exemple, en Australie, la tribu des Murngins prescrit le mariage avec la fille du frère de la mère et interdit celui avec l’autre cousine croisée, fille de la sœur du père. La thèse de Lévi-Strauss propose une théorie générale des règles du mariage des différentes tribus à partir des bénéfices systémiques que telles ou telles règles d’échange des femmes engendrent, sans forcément que les individus aient eux-mêmes conscience de ces bénéfices.
Mais, après de longues démonstrations sur les mérites supposés de telle ou telle règle dans telle ou telle région, en s’arcboutant sur l’idée que tout doit s’expliquer à partir des règles d’alliances (contre les thèses qui cherchaient des explications du côté des règles d’héritage, comme le proposaient des ethnologues anglo-saxons), et indépendamment d’autres registres explicatifs (par exemple la localisation des nouveaux mariés, etc.), Lévi-Strauss bute sur les limites inhérentes à la radicalité de sa perspective. Il n’arrive pas à prouver la supériorité du mariage de la fille avec le fils de l’oncle maternel par rapport au cas symétrique du mariage de la fille avec le fils de la tante paternelle. En fait, la forte influence de l’oncle maternel pourrait être expliquée facilement par l’autorité des frères sur les sœurs dans certaines sociétés, mais Lévi-Strauss ne voulait pas faire intervenir de telles considérations au sein de sa théorie.
C’est à ce moment qu’il invente le structuralisme, sorte de patch pour expliquer l’asymétrie par une forme d’inconscient symbolique. Le structuralisme nait ainsi comme une théorie du contrat social, mais sans sujet qui écrirait ce contrat : le symbole dont s’occupera le structuralisme est ce contrat social sans sujet.
Illusions et désillusions d’une génération
Le problème, toutefois, est qu’il n’y a pas de méthode structurale. Il n’y a que l’espoir d’une méthode scientifique qui reste à établir. Cet espoir, la nouvelle génération de savants qui emboîte le pas à Lévi-Strauss y voit l’occasion de se distinguer de la génération précédente, qui étudiait les humanités en se souciant du sens. La « méthode » structurale prétendra reconstruire les humanités à partir de méthodes formelles qui dévoilent le sens profond des signes et symboles qu’utilisent naïvement les individus. Des jeunes savants de tout horizon s’efforcent ainsi de développer une approche « structurale » dans leur discipline respective.
Aussi, dans un premier temps, le structuralisme séduit et gagne en audience, touchant même un large public au travers des médias au cours de l’année 1966. L’absence de véritable méthode structurale désarme les critiques, qui ne savent pas sur quel terrain mener la discussion. Au sein des universités, on assiste alors à une querelle des Anciens et des Modernes. Les structuralistes poussent leur avantage en réclamant les postes universitaires que les mandarins tardent à leur accorder et, à la faveur des réformes universitaires qui suivent Mai 68, ils accèdent enfin à la reconnaissance institutionnelle.
Arrive alors le temps des désillusions car l’entreprise ne tient pas ses promesses sur le plan méthodologique. Les critiques commencent à se faire entendre. Même au sein du mouvement, les désaccords et les divergences de vue sont de plus en plus manifestes. Pour juger de la valeur des travaux, en l’absence de méthode, c’est de plus en plus l’autorité du savant qui finit par compter. Ceci explique le phénomène des Maîtres-à-penser de cette époque, ces savants auprès desquels les étudiants espéraient apprendre plus que des méthodes ; il s’agissait de partager une vision du monde.
Au milieu des années 1970, tous les savants qui ont partagé cette aventure ont renié plus ou moins ouvertement le structuralisme. Le mouvement est mort. Le poststructuralisme traduit le nouvel état d’esprit, en remettant en cause la fixité des structures et en nourrissant un fort scepticisme à l’égard de l’objectivité des sciences sociales.
Auteur de l'article :
Maxime Parodi, Sociologue à l'Observatoire français des conjonctures économiques