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Le temps des algorithmes
S. Abiteboul et G. DowekLes algorithmes exercent une place croissante dans les sociétés contemporaines.
Il s’agit dans cet ouvrage de penser ce phénomène nouveau, en identifiant les problèmes philosophiques, éthiques, que cela peut poser.
1/ Qu’est-ce que c’est ?
Que signifie, tout d’abord, ce terme complexe ? Les deux auteurs proposent cette définition : cela désigne un procédé qui permet de résoudre un problème, sans avoir besoin d’inventer une solution à chaque fois
1. En ce sens large, même la taille du silex est un algorithme.
En un sens plus restreint, plus conforme à ce que l’on a communément à l’esprit lorsqu’on emploie ce terme, l’algorithme porte sur des symboles, lettres ou chiffres. Ainsi l’algorithme d’Euclide qui permet d’identifier le plus grand diviseur commun de deux nombres entiers.
Quelques composants simples suffisent pour construire un algorithme : l’affectation (« remplacer a par b »), la séquence (« faire ceci, puis cela »), la boucle (« tant que ceci est vrai, répéter cela ») et le test (« si ceci est vrai, alors faire cela »).
L’algorithme au sens traditionnel du terme apparaît donc comme un programme informatique qui porte sur des données de type chiffres ou lettres, en répétant un certain nombre d’instructions, et permet d’obtenir un certain résultat.
En ce sens, on les trouve désormais partout : ce sont eux qui génèrent les résultats des moteurs de recherche, nous recommandent tel ou tel morceau sur les plateformes musicales, déterminent les cours de la Bourse, calculent le montant des indemnités qu’une compagnie d’assurance doit nous verser, nous aident à trouver le plus court chemin pour atteindre un endroit donné, commandent aux machines qui fabriquent des objets à la chaîne dans des usines, permettent de simuler et modéliser l’évolution de l’atmosphère et des océans, etc… La liste est très longue.
2/ Quelles conséquences ?
Cette nouvelle ère, l’ère des algorithmes, entraîne des bouleversements sociaux et techniques, qui soulèvent des problèmes encore inédits, que les deux auteurs examinent.
Ainsi grâce aux algorithmes, on assiste à l’émergence d’une nouvelle économie dite collaborative. On peut à présent trouver en un temps record un autre automobiliste qui se rend dans la ville où nous souhaitions aller, et ainsi faire du covoiturage. Ou un logement vacant dans cette même ville, laissé à disposition par un particulier. Ce traitement de l’information, très complexe puisqu’il s’agit de gérer des millions de voyageurs et de biens, n’est possible que grâce à un algorithme de mise en relation de personnes.
Or cela implique de nombreuses conséquences : écologiques, puisque le covoiturage permet de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Economiques, puisque les hôtels sont mis en concurrence avec les particuliers, ce qui tire les prix vers le bas et met en difficulté le secteur de l’hébergement, etc.
D’autre part, les algorithmes de transmission de l’information qui gèrent les mails ont rendu possible le développement du télétravail. Avec lui, c’est peut-être la fin du salariat qui s’annonce, et l’émergence d’un autre modèle, dans lequel le travailleur ne réalise que des tâches ponctuelles au moment où l’on a besoin de lui. Comment éviter cette fragilisation de la sécurité des travailleurs, qui menace leurs droits sociaux ?
De même, le projet de voiture autonome pourrait fragiliser des emplois. Là encore, ce sont des algorithmes qui permettraient de réaliser ce vieux rêve de science-fiction d’une voiture qui roulerait sans avoir besoin d’un conducteur. Que deviendront alors les dizaines de milliers de chauffeurs routiers, chauffeurs de bus etc., si l’on n’a plus besoin d’eux ?
En réalité, aucune classe sociale n’est à l’abri : de même, les avocats, les médecins, les enseignants et autres travailleurs « intellectuels », seront bientôt eux aussi partiellement remplacés par des algorithmes
2.
Plus généralement, si des robots assistés par des algorithmes peuvent se charger des différents travaux nécessaires à notre subsistance, pourquoi travailler ? Ne va-t-on pas vers une fin du travail ?
Ce ne sont là que quelques-unes des conséquences analysées par S. Abiteboul et G. Dowek.
3/ Quand la technique renouvelle en profondeur l’éthique
Dans cette nouvelle société façonnée par les algorithmes, on voit apparaître de nouvelles questions éthiques :
- Faut-il remplacer les juges par des algorithmes, afin d’obtenir des décisions plus impartiales, moins subjectives ?
- Lors d’un accident, l’algorithme d’une voiture autonome doit-il choisir d’éviter des piétons et sacrifier le conducteur, ou le contraire ?
- En collectant nos données personnelles, ce qui leur donne même la faculté de prédire nos futurs achats, les algorithmes auraient-ils accès à notre inconscient ? Auquel cas, n’est-ce pas dangereux ?
- Etc.
Mais S. Abiteboul et G. Dowek reviennent également sur des problèmes plus traditionnels relevant de la philosophie de la technique, et prennent position :
- Peut-on concevoir une nouvelle espèce d’homme, assisté par l’ordinateur, qui échapperait même à la mort, ainsi que le suggère la doctrine du transhumanisme ?
- Un algorithme peut-il être intelligent ? Autrement dit : qu’est-ce que l’intelligence artificielle ?
- etc.
Ce livre présente un état des lieux clair et pédagogique, qui nous permet de saisir à quel point nous avons, en quelques dizaines d’années seulement, changé d’époque.
Il tire toutes les implications philosophiques de cette innovation technique majeure que représente, en ce début de XXIème siècle, la généralisation des algorithmes. A ce titre, nous ne pouvons qu’en conseiller la lecture…
1 Chap. 1
2 Chap. 8