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couverture du livre

Homo Sapiens, à l’heure de l’intelligence artificielle

A l'heure de l'intelligence artificielle et des nouvelles technologies, l'espèce humaine vit un véritable tournant...

Comment interpréter cette métamorphose ? Dans quelle direction allons-nous ? Faut-il s'inquiéter ?


Voir aussi : Transhumanisme



Au XXIème siècle, face aux enjeux qui la bouleversent, l’humanité serait entrainée dans un processus de métamorphose radicale qui pourrait déboucher sur une phase plus adulte et plus harmonieuse de son développement. Il s’agit là de la deuxième étape d’une transformation sociétale dont l’impact est planétaire du fait de l’hyper connexion des individus entre eux. Reliance due aux nouvelles technologies. Ce phénomène est comparable à la transition de l’ère féodale à la Renaissance. Une nouvelle façon de percevoir le monde nous aiderait à relever les défis écologiques et géopolitiques auxquels l’humanité devra faire face. Cette mutation de notre espèce serait liée au fait que nous sommes de plus en plus nombreux à optimiser les potentialités de notre cerveau.

Le changement d’ère annoncé s’exprime par vagues successives depuis un siècle déjà. Le prisme de la Raison cède sa place progressivement à celui du Vivant dans un monde devenu hypercomplexe. 

Cependant nous sommes arrivés aujourd’hui à un point de bifurcation avec des futurs possibles très différents. Ainsi ce nouveau paradigme pourrait être freiné pour plusieurs siècles si nous n’en prenons pas soin. 


Cette prise de conscience nous est proposée dans un ouvrage passionnant et percutant intitulé Homo Sapiens, à l’heure de l’intelligence artificielle paru en 2019 aux éditions Eyrolles et co-signé par l’ethno-anthropologue Alain de Vulpian et Irène Dupoux-Couturier (historienne et co-fondatrice de Sol France).

C’est la version actualisée d’un ouvrage plus académique qui a reçu le prix de l’essai de l’Académie française en 2016 Eloge de la métamorphose, en marche vers une nouvelle humanité aux éditions Saint-Simon. 

Alain de Vulpian est un spécialiste des transformations de la société occidentale. Sa vision optimiste mais prudente du devenir de l’humanité pourrait paraitre d’un idéalisme confondant si elle n’était pas crédibilisée par 70 années de recherche et étayée par des arguments solides issus d’une méthode d’investigation approfondie pour identifier « les signaux faibles » de la métamorphose.  

Comme il est compliqué…de faire simple ! Mais ces deux chercheurs ont réussi cet exploit et ils séduisent par une pensée lumineuse et transversale qui couvre un champ disciplinaire à 360° : sociologie, philosophie, économie, politique, neurosciences et biologie, etc…  

Les métamorphoses socioculturelles d’Homo Sapiens

Il est intéressant de souligner le choix des auteurs du concept de « métamorphose ». Moins banale et plus poétique que les mots valises « changement de paradigme », cette idée nous provient de la biologie. Elle définit les transformations dans le règne animal telle une chenille qui se métamorphose en papillon. Il s’agit là d’insérer d’emblée Homo Sapiens au sein même de la nature. Il en fait partie intégrante. Il est un « animal socio-culturel » qui évolue en fonction de son environnement. 

Cette remarque n’est pas anodine dans la mesure où la thèse du livre s’appuie sur les concepts philosophiques du biologiste chilien Francisco Varela qui a exploré la relation entre science et bouddhisme et du neuro-psychologue (grand supporter de Spinoza) Antonio Damasio qui s’est illustré par ses travaux sur les émotions. 


Alain de Vulpian compare audacieusement la transformation de l’espèce humaine en cours au phénomène « d’autopoïèse » - terme propre à Varela - qui définit la capacité du vivant à se générer, à s’autogénérer en réaction à son environnement

Antonio Damasio quant à lui définit 3 caractéristiques du vivant : « sur-vivre, se reproduire, s’épanouir

Ainsi ces étapes du vivant correspondraient à celles de l’évolution d’Homo Sapiens sur la Terre. En effet, la nouvelle ère qui s’ouvre pour l’humanité serait celle de l’épanouissement de notre espèce. 


Auparavant, Homo Sapiens est passé par d'autres phases de son évolution : 

- La première qui fut très longue est l’ère des chasseurs-cueilleurs nomades. C’est une période de l’humanité où une forte empathie reliait les membres d’une même tribu. 

- La seconde est une ère de transition lorsqu’il y a dix ou douze mille ans, le réchauffement climatique aidant, l’homme découvre l’élevage et l’agriculture en se sédentarisant : c’est le début de la possession de la nature et de la hiérarchisation.

- La troisième est l’ère des civilisations inaugurée par Summer : la Mésopotamie est la première civilisation du savoir (Homo Sapiens se sédentarise entre le Tigre et l’Euphrate autour de 4000 ans avant Jésus-Christ) : c’est l’émergence de la compétition entre les hommes, de l’organisation pyramidale et de la gouvernance verticale qui brident l’empathie car elle protège l’homme de l’endoctrinement.

Il est fascinant d’apprendre que les différents cycles d’apparition, d’émergence et de déclin des civilisations sont similaires. Ainsi : Des sociétés différentes, sans contact entre elles, ont des tendances identiques ou font des innovations qui se ressemblent et portent sens. (Réchauffement climatique, sédentarisation des nomades, cultivation de plantes, domestication des animaux, Etat, hiérarchie, organisation verticale, démographie qui augmente…)

L’évolution de la nature vers la complexité ne serait pas une ligne droite mais une spirale dynamique portée par une élévation de conscience. 


La quatrième phase de l’évolution de l’humanité serait en gestation aujourd’hui. Selon les auteurs, elle prend ses racines en Europe et présente deux métamorphoses dont celle en cours a un impact planétaire depuis l’avènement d’Internet :

- La première métamorphose a débuté à la Renaissance au XVIème siècle : elle a engendré une rationalité excessive, une science et un modèle économique fondé sur la croissance de la production et de la consommation. L’avènement de la Raison a marqué la rupture de l’homme avec ses émotions, a hiberné ses sensations, a banni ses intuitions et pulsions. Les intelligences sensorielles, émotionnelle-relationnelle et spirituelles se sont endormies. 

- La deuxième phase de la métamorphose est celle de l’épanouissement de l’homme. Ce nouveau paradigme rompt avec la « déification de la rationalité ». La raison analyse les émotions. L’humanité est sur le point d’accoucher d’elle-même mais cette gestation a démarré au début du XXème siècle au moment où la mécanique quantique a ébranlé le dogme matérialiste issu de la physique newtonienne. Le comportement des particules élémentaires défie tout entendement. Et cela remet en cause la vision purement matérialiste du monde dans la mesure où l’homme est constitué lui-même d’éléments subatomiques. Cette nouvelle façon de penser qui s’ouvre à l’invisible s’exprime par vagues successives depuis un siècle.

Le nouveau prisme du vivant

Les auteurs citent Antonio Damasio selon lequel : Dans les complexités du vivant, les humains sont incapables de se conduire convenablement s’ils n’utilisent que le cerveau rationnel sans la collaboration du cerveau émotionnel.

Ainsi les auteurs nous informent que de plus en plus de « gens ordinaires » deviennent « socio-perceptifs ». Leur intelligence rationnelle se combine à une intelligence émotionnelle qui progresse et s’aiguise. Ils sentent le complexe de façon intuitive, sans l’intellectualiser. Ils creusent « leur intelligence des futurs ». Nous serions de plus en plus nombreux à prendre conscience que tout est relié et interconnecté et que l’espèce humaine fait partie intégrante de la nature. En se référant aux découvertes récentes en neurosciences telles que l’extrême plasticité cérébrale, les neurones miroirs et les cellules gliales, Alain de Vulpian et Irene Dupoux-Couturier affirment que des zones cérébrales endormies se seraient réveillées instaurant ainsi un dialogue de nos quatre cerveaux : sensoriels, émotionnels, empathiques, socioperceptifs sans perdre pour autant notre rationalité


Par ce dialogue, les socio-perceptifs renforcent leur adaptation à une société complexe. Ils sont animés par une soif d’autonomie. Ils se libèrent des conventions, des conditionnements et des autorités. Leur habileté sociale progresse. Ils construisent ainsi sans le savoir une nouvelle société, économie, civilisation

Selon la thèse du livre, ce comportement social trouve ses racines dans la pulsion émancipatrice du bonheur-liberté qui, avec Spinoza et le siècle des Lumières, touche précocement l’intelligentsia européenne mais ne commencera à imprégner les sensibilités des gens ordinaires que quelques siècles plus tard

Ce nouveau paradigme est celui du vivant c’est-à-dire qu’il se structure autour des notions de vie et de complexité et comme l’avait intuitivement pressenti Edgar Morin, il prend la place du « principe de simplification » qui caractérise l’analyse rationnelle. Selon la thèse du livre, il marque la conscience et la subconscience, les postures, les modèles mentaux et les conduites des gens ordinaires et de bon nombre de dirigeants politiques et économiques. Il imprègne l’intuition de nos contemporains dès la fin du deuxième tiers du XXème siècle

Vers une société-comme-un-cerveau

Cette nouvelle façon de penser engendrerait l’avènement d’une société-comme-un-cerveau : son organisation pourrait ressembler à celle d’un cerveau avec ses milliards de neurones connectées. Cette métaphore est aisément illustrée par le déclin d’une hiérarchie verticale qui cède sa place à une société horizontale et hétérarchique. 

Quelle voie l’emportera ?

Dans un monde technologique et ultramatérialiste qui se complexifie, le retour à l’humain semble être vital.

Cependant la bifurcation engendre des incertitudes sur le devenir de l’humanité. La métamorphose annoncée peut avorter ou être récupérée par des oligarques si nous n’en prenons pas soin. 

Cet entre-deux mondes peut basculer dans une direction différente : Les pouvoirs en place (Etats-nations, politiciens, grandes entreprises et institutions traditionnelles) bloquent cette métamorphose


A l’heure de l’intelligence artificielle, le risque est que nous prenions le chemin d’une « société-comme-des-fourmis ». Alain de Vulpian et Irène Dupoux-Couturier perçoivent trois menaces :

1) La résistance des grandes entreprises financiarisées

2) Les incertitudes liées à l’expansion extrêmement rapide du numérique

3) La persistance de la démocratie telle que nous la pratiquons.

Toutefois le réveil d’une intelligence dite « spirituelle » et laïque en Occident est un formidable espoir pour l’émergence d’une nouvelle sagesse au XXIème siècle qui permettrait à Homo Sapiens de devenir une espèce plus avisée, plus capable de se gouverner dans la complexité.


Le livre s’achève sur les moyens de prendre soin de cette métamorphose humaniste. Alors si vous ressentez vraiment que quelque chose de puissant est à l’œuvre actuellement, je vous encourage à lire cet ouvrage sans plus tarder. 

Auteure de l'article :

Ferial Furon