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couverture du livre

Propos sur le cinéma

Ce texte paru en 2011 est un recueil divers de textes et entretiens de Clément Rosset (1939-2018, philosophe et spécialiste de Schopenhauer) sur le cinéma.

Après un entretien avec Roland Jaccard (un écrivain et critique littéraire suisse), ce livre réunit des commentaires de films, des hommages à leurs réalisateurs ou des réflexions sur des thématiques cinématographiques.

Par exemple la peur, le burlesque, le fantastique... chaque genre du septième art évoque un concept en philosophie.


Le livre et le cinéma…

Le premier film qu’il a vu ? Les Naufrageurs des mers du Sud, un film américain des années 1940 de Cecil B. DeMille avec John Wayne, conseillé par ses frères aînés, film dont il convient très vite qu’il s’agit d’un navet.

Mais ce film est l’occasion d’une comparaison avec l’objet « livre », plus facile à suivre qu’un film, dont l’histoire se découpe en séquences hachées (encore plus quand les spectateurs parasitent la vision d’un film par leurs bruits dans les salles de cinéma, nous dit encore Rosset).

Plus difficile aussi, pourquoi ? On sait qui est l’auteur d’un livre, mais d’un film ? Pas les acteurs, qui, pour le philosophe, perdent leur intérêt quand ils ne sont pas dirigés, sauf quelques maigres exceptions. L’auteur véritable d’un film, c’est le présent, car le cinéma s’élabore au moment où il s’exécute, dans les aléas d’un tournage. Il y a une forme de phénoménologie du cinéma – Clément Rosset ne le dit pas, mais c’est ce que l’on peut comprendre de son interprétation.

Cinéma et intuitions philosophiques

Un thème qui l’a marqué ? La mort, incarnée par une actualité projetée au cinéma dans laquelle on voit la tête figée de Louis II de Monaco qui vient de trépasser. L’imminence et le caractère systématique de la mort – on a l’impression à travers les films que l’on voit, dit-il, que les hommes sont menés directement à l’abattoir – lui évoque cette première répulsion philosophique : Rousseau a tort quand il affirme que l’homme est naturellement bon.

L’émotion face à un film lui évoque ceci : une intuition philosophique. Une autre encore, qu’il partage avec Nietzsche : la joie est plus profonde que la peine.

Certains cinéastes dessinent une définition de l’homme, à l’instar des philosophes : Hitchcock, par exemple, a fortement contribué à illustrer la fragilité du moi personnel, confronté au déterminisme de toutes les forces qui se déchaînent contre lui.

C’est ce genre de liens entre philosophie et cinéma que l’on peut lire dans cet ouvrage, comme des petites pensées, des ponts entre les arts.


Le cinéma mène aussi Clément Rosset à la psychanalyse car pour lui, l’image que l’écran renvoie présente beaucoup d’analogies avec le rêve. D’ailleurs, Jaccard lui fait remarquer que psychanalyse et cinéma sont nés la même année, en 1875.

Mais cette coïncidence est accidentelle pour Rosset. La psychanalyse cherche à éclairer les mystères de l’art ; le cinéma, lui, accentuer leur caractère impénétrable. Leurs ambitions sont différentes. D’ailleurs, Rosset n’aime pas beaucoup les films à message explicite comme ceux de Bergman – il faut, dit-il, laisser à manger au spectateur.

À chaque philosophe son genre cinématographique

Clément Rosset partage la passion de Charlie Chaplin pour Schopenhauer. Il partage sa philosophie pessimiste, convaincu que le plaisir est une illusion de fuite face à un monde de souffrance et d’absolue contingence. Rosset adore Monsieur Verdoux, un film immoraliste, pessimiste et burlesque, qui met en images la philosophie de leur maître allemand.

Et les westerns que Wittgenstein adorait ? Incompréhensible passion, pour Rosset. Le western s’appuie sur le même impérialisme américain qui pousse les États-Unis à envahir le Vietnam – pourtant, à cette même époque, les étudiants et manifestants pacifistes se ruent dans les salles de cinéma pour voir un western.

Le burlesque, en revanche, est le genre qui a le même goût du non-sens que ses philosophes de prédilection : Lucrèce, Montaigne, Spinoza ou encore Schopenhauer. Le non-sens comme vérité première. De Schopenhauer, Rosset retient aussi sa doctrine de l’émotion esthétique comme contemplation, moment de lucidité qui nous place hors de nous-même et de notre volonté, concept cher à Schopenhauer. C’est ce que Rosset appelle un « ailleurs paradoxal » ou une « ex-territorialité », hors du monde et en plein monde, loin et proche.

Le fantastique, enfin, est un genre qui suscite aussi bien l’angoisse que le soulagement : dans la confusion, on a le sentiment terrible que l’on ne connaît plus sa propre identité, mais cette confusion nous préserve peut-être d’une vérité plus terrible encore qui nous ferait conclure que nous ne sommes rien. Cela nous rappelle le premier livre de Clément Rosset, La Philosophie tragique 1, dans lequel le philosophe reprend le paradoxe nietzschéen de la joie : la joie, disait-on, est plus profonde que la peine parce que la réalité du monde ne la justifie pas.

Conclusion

Clément Rosset est un penseur, à la suite de Schopenhauer, de l’absurdité du monde. La joie apparaît comme cette approbation formidable au réel dans un monde où seul le pire est une chose certaine, tangible. Le rire comme une affirmation face au non-sens du monde (qui est la vérité première chez Clément Rosset et la seule hypothèse préalable), n’est jamais mieux exprimée que dans le cinéma burlesque.

Un livre passionnant, dont nous vous recommandons la lecture !

Auteure de l'article :

Margaux Cassan est diplômée de l'ENS-PSL en Philosophie et religions, et est l'auteure de Paul Ricoeur, le courage du compromis. Linkedin

1 Clément Rosset, La Philosophie tragique, Paris, Presses universitaires de France, 1960.