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couverture du livre

Autour de la bêtise

Qu'est-ce que la bêtise ? Cet ouvrage en examine toutes les dimensions, en philosophie, en art, en littérature, en interrogeant des auteurs tels que Deleuze, Descartes, Flaubert, etc.

Une approche exhaustive, développée dans cet ouvrage très complet.


La faculté des faux problèmes

Deleuze rappelle que la bêtise est la faculté des faux problèmes. Il s’agit alors de questions “préfabriquées” qui déterminent le sens que doivent prendre les réponses et les recherches. Or, ces questions ne contiennent bien souvent rien de plus qu’un amalgame de clichés et d’idées reçues.

 Ainsi, en philosophie, bon nombre de « problèmes » reposent sur des conceptions qui elles-mêmes ne sont jamais intégrées dans l’élaboration même du problème. On se promet par exemple de résoudre le problème du rapport entre l’âme et le corps, mais en reprenant des modèles de dualisme eux-mêmes d’une accablante trivialité. C’est contre ce genre de « bêtise » que cherche à lutter ce livre, afin de rendre à la pensée philosophique sa dignité et son autonomie en tant que discipline.


Le livre contient en tout neuf chapitres : à chaque fois, un aspect de la bêtise est analysé à l’aide d’auteurs comme Deleuze, Sartre, Proust, Flaubert et autres. Un des points centraux est l’idée que la bêtise ne se laisse jamais réduire à une erreur. Cette idée repose en effet sur une illusion : qu’il suffirait de dire et de trouver la vérité afin de lutter contre, et résister à la bêtise. Or, la plupart des opinions dites « bêtes » reposent justement sur des vérités : mais il s’agit de vérités « sans valeur », triviales et démunies de sens. Car toute vérité doit être soumise à un critère impitoyable : celui du sens. On a aussi la vérité qu’on mérite en fonction du sens des problèmes que l’on arrive à déployer.  Un problème trivial recevra une solution toute aussi triviale, c’est-à-dire : bête.

De la confusion

Dans un chapitre clé dédié à Descartes, Roland Breeur semble non seulement vouloir illustrer ce qu’il entend par « faux problèmes », il y explique en outre comment le problème de la bêtise tel qu’il le développe tout au long de son ouvrage trouve chez ce penseur de la modernité un précurseur. Pour l’auteur, la question du rapport entre l’âme et le corps, ainsi que la défectueuse solution en termes d’interaction, n’est qu’un faux problème 1.

Pourquoi ? Parce que, dit-il, il résulte d’une confusion entre ce qu’il appelle différents « ordres », « registres », « champs sémantiques » soigneusement distingués par Descartes. L’ordre au sein duquel Descartes pose la question du dualisme ne peut pas être confondu avec celui au sein duquel un « cogito » fait l’expérience de son corps.

La thèse du dualisme est issue d’une pensée déterminée par la nécessité de procéder à l’aide d’idées claires et distinctes. Dans ce registre de pensée, il convient d'éviter toute forme de confusion entre ce qui relève du corps (qui ne pense pas) et ce qui appartient à la conscience (qui n’a pas d’étendue). Mais notre expérience (les sensations, les passions et émotions) nous apprend qu’entre corps et âme existe une union. C’est le registre propre au « vécu ».


De là la thèse de l’auteur :

Il y a là deux couches signifiantes, celle où l’esprit pense contre le corps, et celle où il pense selon lui. Ces couches ou ces registres incarnent deux perspectives inconciliables qui ne se distinguent pas comme différents degrés d’une intégration finale. Au contraire, toutes ces démarches visant à ramener une perspective à l’autre, à déduire une couche de l’autre (…) sont vouées à l’échec 2.

Or, ces tentatives sont justement celles qui déterminent bon nombre de recherches se promettant de résoudre le soi-disant « mind-body problem » 3 ; ce sont des faux problèmes, bref, des formes de bêtise.

Le transcendantal s’anime

Il est clair que l’enjeu de ce chapitre déborde de loin le domaine d’une « étude cartésienne ». Dans son approche de Descartes, l’auteur semble établir un modèle de bêtise (faux problèmes) repris tout au long de son ouvrage et illustré à l’aide d’autres auteurs et de phénomènes.

Dans le chapitre qui suit – « Le paysage du transcendantal » - c’est surtout la pensée de Deleuze qui est invoquée. Pour lui, la question concernant les conditions de possibilité de la bêtise est plus fondamentale que celle concernant la connaissance. Dans un chapitre dense mais bien fourni d’exemples issus d’auteurs littéraires (Proust, Flaubert), Roland Breeur montre aussi le lien qui existe entre bêtise et violence : l’un comme l’autre sont signe de bassesse, de vulnérabilité et de faiblesse 4.

Objets bêtes

Ce livre contient bon nombre d’analyses et de thèmes très originaux (par exemple sur la bêtise de l’autre 5, l’imagination et le temps 6, l’idiotie, etc.). Or le plus original semble bien être ce chapitre dans lequel l’auteur développe une description de ce qu’un commentateur de l’œuvre de Flaubert appelait un « objet stupide ».

Selon ce commentateur 7, la première version de Mme Bovary contenait un exemple frappant, éliminé ensuite sur le conseil soutenu de Bouilhet. Il s’agissait d’une description assez élaborée (plus de 10 pages) d’un jouet qui devait occuper les enfants d’Hormais. L’objet était un modèle miniature représentant la cour du roi Siam. “A la fois le comble du gratuit et le comble de l’essentiel”, cette maquette, selon J. Culler, illustrait parfaitement « stupidity and its attraction 8.

Ce chapitre tente en effet d’analyser ces deux aspects : « la fascination pour l’infiniment petit » et le « stupide » au niveau des objets miniatures 9. Au fond, ce chapitre est tellement compact et riche, qu’il ferait à lui-même un peu office de livre miniature au sein de cet ouvrage érudit et divertissant, et dont la thématique reste malheureusement omniprésente.


1 Autour de la bêtise, p. 67
2 Ibid., p. 75
3 Voir à ce sujet les commentaires de l’auteur p. 64-67.
4 Ibid., p. 107. Voir surtout le chapitre sur les “Passions imaginaires. Violence et sentimentalisme », p. 176-199.
5 Le chapitre “La bêtise est la bêtise de l’autre », ibid., p. 111-127.
6 Ibid., p. 155-176.
7 J. Culler, Flaubert: The Uses of Uncertainty (1974), Critical Studies in the Humanities, The Davies Group, Publishers, Aurota, Colorado, 2006, p. 171.
8 Autour de la bêtise, op.cit., p. 202.
9 Le chapitre s’intitule “Small is stupid”, ibid., p. 201-219.