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couverture du livre

Résumé du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (page 7)

Dialogue avec Thomas Hobbes : vice et violence dans l’état de nature

Mais ce n’est pas Socrate que Rousseau choisit de citer. Sur ce point (celui de la violence naturelle des hommes) c’est le dialogue avec Thomas Hobbes qui est le plus discuté. Dans le paragraphe suivant, Rousseau prévient son lecteur :

N’allons pas surtout conclure avec Thomas Hobbes que pour n’avoir aucune idée de la bonté, l’homme soit naturellement méchant, qu’il soit vicieux parce qu’il ne connaît pas la vertu, qu’il refuse toujours à ses semblables des services qu’il ne croit pas leur devoir, ni qu’en vertu du droit qu’il s’attribue avec raison aux choses dont il a besoin, il s’imagine follement être le seul propriétaire de tout l’univers. 1 (Déjà cité)


S’adressant à nouveau à Thomas Hobbes, Rousseau considère que le philosophe anglais commet une nouvelle fois une erreur de jugement. L’erreur de Thomas Hobbes, quand il prétend qualifier la nature de l’homme, c’est de rechercher -pour expliquer un fait lointain appartenant au passé- des réalités analogues à celles qui sont à l’œuvre aujourd’hui, de projeter la croyance contemporaine sur la plus haute antiquité.

C’est ce qu’il entend par cette formule : Pour avoir fait entrer mal à propos dans le soin de la conservation de l’homme sauvage le besoin de satisfaire une multitude de passions qui sont l’ouvrage de la société, et qui ont rendu les lois nécessaires. Autrement dit, Thomas Hobbes aurait associé à l’homme sauvage des désirs qui sont ceux de l’homme civil – ces désirs qui mènent au conflit perpétuel qui justifie les lois et la politique.


Comme nous l’avons évoqué, dans l’histoire de la philosophie, comme nous venons de le signifier, cette croyance – que l’homme fait le mal par ignorance de la vertu - est plutôt attribuée à Socrate. Chez Thomas Hobbes, l’absence de justice et de lois dans l’état de nature mène à une compétition permanente, mais cela ne fait pas de l’Homme un être mauvais par nature. Laissons là le commentaire pour poursuivre notre lecture. Pour appuyer son argument, Rousseau s’en prend une nouvelle fois à Thomas Hobbes.


L’homme est-il violent dans l’état de nature ?

Chez Thomas Hobbes, l’homme sauvage est un enfant robuste, c’est-à-dire dont la force physique est importante. Aussi, il use et souvent abuse de sa force physique pour obtenir satisfaction.

Pour Rousseau, cet argument est invalide, car plus l’homme est fort physiquement, moins il est dépendant des autres – autrement dit, moins il a besoin de violence pour se satisfaire.

Seul l’homme civil, doté de raison mais au physique fragile, est dans l’excès. L’homme sauvage ne peut être méchant : l’absence de raison l’empêche de savoir ce qu’est la bonté, et donc d’en abuser.


C’est là, dans son débat avec Thomas Hobbes sur la bonté naturelle (ou non) de l’homme, que Rousseau retrouve sa théorie de la pitié naturelle aux hommes dans l’état de nature (voir préface).

La pitié naturelle s’inscrit ici dans une référence à Bernard Mandeville, philosophe néerlandais et auteur de La Fable des abeilles.

Dans ce texte, paru 1714, Mandeville défend une thèse aujourd’hui reprise par les entrepreneurs selon laquelle le vice serait utile par ricochets à la société. Ôtez la vanité aux grandes dames, plus de belles manufactures de soie, plus d'ouvriers ni d'ouvrières en mille genres…, écrit Mandeville.

C’est la concupiscence des uns qui offre du travail à d’autres. En outre, Mandeville a bien senti qu’avec toute leur morale les hommes n’eussent jamais été que des monstres, si la nature ne leur eût donné la pitié à l’appui de la raison.

Si Rousseau valorise la pitié, il déprécie la raison, pourtant valeur sacro-sainte des philosophes.


Dans cette première partie, on peut noter cinq occurrences du terme raison :

1. L’entendement humain doit beaucoup aux passions, qui, d’un commun aveu, lui doivent beaucoup aussi : c’est par leur activité que notre raison se perfectionne

2. Il avait dans le seul instinct tout ce qu’il fallait pour vivre dans l’état de nature, il n’a dans une raison cultivée que ce qu’il lui faut pour vivre en société.

3. Les hommes n’eussent jamais été que des monstres, si la nature ne leur eût donné la pitié à l’appui de la raison

4. C’est la raison qui engendre l’amour-propre, et c’est la réflexion qui le fortifie.

5. Il me reste à considérer et à rapprocher les différents hasards qui ont pu perfectionner la raison humaine, en détériorant l’espèce, rendre un être méchant en le rendant sociable.


Ces cinq citations mettent en évidence la méfiance que Rousseau a vis-à-vis de la raison. La raison est mise en concurrence avec les passions, l’instinct, la pitié ; elle est associée à l’amour-propre, et la détérioration de l’espèce.


Nous devons expliquer ce que Rousseau entend par amour-propre.

L’amour-propre est l’envers de la pitié, que l’on pourrait qualifier comme l’identification d’une personnalité sensible à une autre personnalité sensible. L’amour-propre existe quand on cesse de s’identifier à nos semblables ; quand l’on commence à se comparer, à exister en se référant aux autres êtres comme unité de mesure, d’évaluation ou de dévaluation.

Chez Rousseau, l’amour-propre est une tentation que nous devons fuir pour tendre vers la pitié, qui elle-même concourt à la conservation mutuelle de toute l’espèce (ce que Rousseau appellera plus tard l’amour de soi).


Non seulement les hommes dotés de la raison ne seraient que des monstres pour Rousseau mais la raison « rend » l’homme « méchant ». La morale rousseauiste, contrairement à celle d’Emmanuel Kant par exemple, est fondée sur le sentiment et non sur la raison.

Or l’homme sauvage tend plus volontairement vers le premier des sentiments : la pitié. Autrement dit, ce qui nous pousse à bien agir, ce n’est pas l’éducation de notre raison, mais un sentiment naturel d’empathie vis-à-vis d’autrui.

C’est, en un mot, dans ce sentiment naturel, plutôt que dans des arguments subtils, qu’il faut chercher la cause de la répugnance que tout homme éprouverait à mal faire, même indépendamment des maximes de l’éducation.



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Auteure de l'ouvrage :

Margaux Cassan est diplômée de l'ENS-PSL en Philosophie et religions, et est l'auteure de Paul Ricoeur, le courage du compromis. Linkedin

1 Les références des citations sont disponibles dans l'ouvrage Rousseau : lecture suivie