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couverture du livre la Démocratie en Amérique

Résumé du livre De la Démocratie en Amérique (page 6)

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En fait, le danger est ailleurs. Il réside au contraire dans la disparition en l’homme de toute capacité de révolte : Oserai-je le dire au milieu des ruines qui m’environnent ? Ce que je redoute le plus pour les générations à venir, ce ne sont pas les révolutions 1.


Tocqueville redoute que les hommes, dans un système démocratique, mus par leur individualisme, n’en viennent à ne chercher uniquement que leur petit intérêt privé, leur tranquillité, rejetant toute théorie nouvelle, toute innovation comme une source de trouble.

Le danger des démocraties réside dans le fait qu’elles restent invariablement fixées dans les mêmes institutions, les mêmes préjugés, les mêmes mœurs, de telle sorte que le genre humain s’arrête et se borne ; que l’esprit se plie et se replie éternellement sur lui-même sans produire d’idées nouvelles ; que l’homme s’épuise en petits mouvements solitaires et stériles, et que tout en remuant sans cesse, l’humanité n’avance plus 2.


Un second danger menace. Dans une démocratie, l’homme reste indépendant (individualiste) donc faible. Il peut alors tourner naturellement ses regards vers cet être immense qui seul s’élève au milieu de l’abaissement universel 3, à savoir l’Etat.

De plus, les citoyens sont naturellement portés à accorder de plus en plus de pouvoir à l’Etat, car leur passion de l’égalité les amène à ne plus supporter aucun pouvoir chez les autres citoyens (l’amour de l’égalité croisse sans cesse avec l’égalité elle-même 4). Ils préfèrent confier ce pouvoir à l’Etat.

Petit à petit, l’Etat concentre tous les pouvoirs. C’est l’Etat qui entreprend de donner du pain à ceux qui ont faim, un asile aux malades, du travail aux oisifs. L’éducation, la charité, sont devenues une affaire nationale.

Dans une aristocratie, le pouvoir se bornait à diriger les citoyens uniquement dans ce qui a un rapport avec l’intérêt national. Il les laissait libre quant au reste.

Dans une démocratie, le gouvernement se jugeant responsable des actions et de la destinée individuelle des citoyens, entreprend de conduire et d’éclaircir chacun d’eux dans les différents actes de sa vie, et au besoin de le rendre heureux malgré lui-même.

Ces deux révolutions semblent s’opérer sous les yeux de Tocqueville, en sens contraire : l’une affaiblit continuellement le pouvoir, l’autre le renforce sans cesse. Il n’a jamais paru si faible et si fort à la fois.


De ce fait, les démocraties peuvent donner naissance à un despotisme d’un type nouveau, que Tocqueville décrit en un texte célèbre. Il s’agirait d’un despotisme « doux », (les chefs étant non des « tyrans », mais des « tuteurs ») mais bien plus étendu que dans le cas d’un despotisme classique, puisqu’il interviendrait dans tous les domaines de la vie des citoyens, comme on vient de le voir.

La chose est si nouvelle qu’il faudrait trouver de nouveaux mots, ou mieux la décrire :

Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs dont ils emplissent leur âme 5.

Tocqueville se réfère à leur individualisme : Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et amis forment pour lui toute l’espèce humaine 6.

L’Etat forme le seul lien entre eux : Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux 7.

Cet Etat a un rapport aux citoyens qui évoque celui qu’a un père avec ses enfants. Mais la comparaison a ses limites : Il ressemblerait à la puissance paternelle si comme elle il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche au contraire qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance : il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir 8.


Tocqueville insiste à nouveau sur l’étendue du pouvoir de l’Etat :

Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre […] il veille à leur sécurité, dirige leur industrie, règle leur héritage… que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? [...]

Il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il ne réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger 9.

On peut interpréter cela comme une dénonciation libérale de l’Etat-providence, cher au socialisme.


Tocqueville résiste à l’idée de juger la nouvelle société qui est en train d’apparaître. Cet homme de l’aristocratie ne veut point juger la valeur des régimes démocratiques qui sont en train de se mettre en place : Il ne faut pas juger les sociétés qui naissent avec les idées qu’on a puisées dans celles qui ne sont plus. Cela serait injuste, car ces sociétés différant prodigieusement entre elles, sont incomparables 10.

Il s’agit simplement de signaler les risques que l’amour de l’égalité peut faire courir à la démocratie ; le principal étant la suppression de la liberté des citoyens.


En fait, on ne peut faire qu’il n’y ait pas égalité (toute idée réactionnaire de retour à l’aristocratie est vaine, car le passage à la démocratie est un phénomène providentiel, comme on l’a vu), mais il dépend de nous que l’égalité conduise à la liberté ou au despotisme.

1 II, p.360
2 II, p.361
3 II, p.403
4 II, p.405
5 II, p.434
6 ibid.
7 ibid.
8 ibid.
9 ibid., p.434-435
10 II, p.454