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couverture du livre L’Ancien Régime et la Révolution

Résumé de L’Ancien Régime et la Révolution (page 3)

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Des hommes qui n’ont jamais été si semblables mais qui restent séparés (Livre II – Chapitres 8 et 9)

Tocqueville souligne que la société de l’Ancien Régime est divisée en de multiples petits groupes d’intérêts particuliers indifférents à l’intérêt commun, et qu’en même temps tous les hommes qui la composent n’ont jamais été si semblables.

Cette uniformisation est le produit de la centralisation administrative qui a affaibli les spécificités provinciales et a unifié les législations sur l’ensemble du territoire ce qui finit par apparaître naturel à la population.

De plus, les catégories supérieures et moyennes de la population partagent les mêmes idées, la même éducation et le même mode de vie, malgré la séparation maintenue par les privilèges de l’aristocratie. Ainsi, la noblesse s’est appauvrie à mesure qu’une classe bourgeoise apparait au sein du Tiers Etat.


La société n’en est pas moins divisée.

A mesure qu’elle abandonne au gouvernement des affaires publiques, l’aristocratie devient une caste qui veille à rester séparée du reste de la société, bien qu’elle ne s’en distingue plus que par la marque de la naissance et ses privilèges fiscaux.

En se retirant du gouvernement des hommes, la noblesse s’est éloignée de la fréquentation de ses vassaux, souvent roturiers, avec qui elle partageait la gestion des affaires via les états provinciaux et généraux ou la conduite des tribunaux.

Bourgeois et nobles n’ont plus de contact dans la vie publique ni dans la vie privée. De rivales, ces classes deviennent ennemies.


Le bourgeois se distingue également du peuple, notamment parce qu’il habite en ville pour échapper à l’animosité du seigneur dans les campagnes.

Séparé par son habitat, son mode de vie, et son intérêt, il finit par devenir indifférent au sort du paysan. L’hostilité entre bourgeois des villes et paysans des campagnes, entre villes et banlieues est très visible au XVIIIème siècle.

Les bourgeois sont unis dans leur souci de se distinguer du peuple mais se décomposent en des divisions infinies (corporations…).

Puisque les actes de vie municipales se raréfient parallèlement à la centralisation du pouvoir, les sociétés ne se fréquentent plus et ne soucient que de leurs propres intérêts.

Tocqueville évoque ainsi un individualisme collectif préfigurant le véritable individualisme post révolutionnaire.

Des origines de la centralisation du pouvoir et de ses conséquences politiques et sociales (Livre II – Chapitres 10, 11 et 12)

Diviser pour mieux taxer (les plus pauvres)

Tocqueville décrit les origines de la centralisation du pouvoir en France et comment elle aboutit à une recomposition de la liberté politique et à un accroissement des injustices fiscales au détriment des plus pauvres du Tiers Etat.


Pour Tocqueville, le traumatisme originel date de l’autorisation donnée au Roi de France par les Etats Généraux en 1439 de lever un impôt centralisé permanent afin de financer l’armée royale (contexte de la Guerre de Cent Ans), ce qui limita de fait le pouvoir des seigneurs et consacra le pouvoir central.

Le Roi dispose dès lors du droit de lever la taille sans le consentement préalable des Etats, ce qui signe le début du processus de décomposition de l’Ancien Régime 1.

Avant cette date, la majorité des impôts royaux étaient indirects et frappaient l’ensemble des trois ordres à l’exception de la taille dont les seigneurs étaient exemptés en échange de leur service militaire gratuit.

Disposant de son nouveau pouvoir, la royauté choisit de renforcer la taille plutôt que tout autre impôt afin de ménager la noblesse, la classe alors la plus dangereuse, et qui n’aurait pas accepté que ce nouveau pouvoir lui fût si préjudiciable.


De là date le début de l’injustice fiscale : l’impôt ne frappant pas celui qui est le mieux capable de le payer mais celui qui est le moins en mesure de s’en défendre, à savoir les plus pauvres du Tiers Etat, ce qui encouragera le processus révolutionnaire.

De là débute également l’imagination fiscale sans limite de l’Etat, au mépris de ses propres lois et engagements (abolition régulière des privilèges d’impôts, confiscation des trésoreries excédentaires, gel des investissements des paroisses pour préserver les bases fiscales, multiplication de fonctions publiques vénales…).

Ainsi, le processus de centralisation du pouvoir n’a pas au départ pas de motivation politique mais plutôt financière.


Une fois le système fiscal mis en place, l’intérêt du gouvernement fut de maintenir la division de la nation pour empêcher qu’elle ne s’unisse afin de réclamer son abolition et légitimer l’intervention d’un pouvoir central, seul garant possible d’un intérêt général.

Le règne de l’injustice

Au XVIIIème siècle, le paysan français n’est plus soumis à la loi du despote féodal.

Il n’est pas en butte aux violences du gouvernement, et jouit de la liberté civile et de la propriété d’une partie des terres, mais tous les hommes des autres classes se sont éloignés de lui, ce qui a de grandes conséquences.


Les nobles ont déserté les campagnes à l’exception des moins fortunés qui exercent sur leurs sujets leurs droits avec férocité.

Cette désertion est encouragée par la royauté qui, par crainte de la noblesse, cherche à l’éloigner du peuple.

Le bourgeois, souvent un paysan qui s’est enrichi, s’empresse au plus vite d’acheter un office à la ville à son fils pour lui faire quitter la vie des champs.

Les paysans ne seront en réalité plus gouvernés que par le pouvoir central qui ne l’opprime pas mais qui, lointain, est indifférent à son sort et ne cherche qu’à en tirer du profit.

Les paysans se voient ainsi accablés de multiples charges.

La taille a été levée sur le Peuple pour financer l’armée du Roi et dispenser du service militaire la noblesse.

Cependant, le service militaire obligatoire a été rétabli via la Milice mais il ne s’applique plus qu’au Peuple.

De même, les corvées permettant au pouvoir central d’exécuter à peu de frais les travaux publics se multiplient.


Les paysans subsistent dans l’isolement et la misère et ne bénéficient guère, ni dans leur art agricole, ni dans leur éducation, des grands progrès civilisationnels de leur époque.

La noblesse française s’appauvrit à mesure que leurs privilèges s’accroissent et que la classe bourgeoise prospère. Les bourgeois se sont également détournés du peuple. Au sein de chacune des trois classes, de multiples subdivisions d’intérêts se sont constitués.

Pour Tocqueville, la multiplication des injustices et la division des classes affaiblit la société française autant qu’elle renforce l’aspiration à la Révolution : Rien n’était plus organisé pour gêner le gouvernement, rien non plus pour l’aider. De telle sorte que l’édifice entier de la grandeur de ces princes put s’écrouler tout ensemble et en un moment, dès que la société qui lui servait de base s’agita.

La bourgeoisie d’Etat ou la naissance d’une nouvelle aristocratie

Paradoxalement, une résistance au pouvoir central demeure. Par avidité, l’Etat a vendu les fonctions publiques, créant involontairement un nouveau pouvoir, l’administration, non soumis à son arbitraire et ralentissant l’exécution de ses décisions.

Ce pouvoir nouveau est timide dans ses démarches et reste interdit à la moindre résistance, surtout de la noblesse qui la méprise et est sûre de ne pouvoir être détrônée.

Bien qu’il la juge sévèrement, Tocqueville déplore la destruction de la noblesse comme une portion de la substance de la nation habitée par une certaine grandeur et une capacité de résistance au pouvoir central encourageant une propension à la liberté civile de l’ensemble de la société 2.

Il dresse un portrait tout aussi flatteur, autant que lucide sur leur égoïsme, du clergé catholique français et de la bourgeoisie d’avant la Révolution dans leur capacité à s’opposer au pouvoir central.

De toutes les institutions de l’Ancien Régime, c’est la justice, bien qu’essentiellement dépouillée de son pouvoir de juger, qui apparait à Tocqueville comme la plus libre du pouvoir central dans sa capacité maintenue à recevoir les plaintes et dire son avis, n’hésitant pas à dénoncer l’arbitraire et le despotisme des procédés du gouvernement.


Tocqueville s’adonne à une étude des mœurs des Français de l’Ancien Régime qui, à l’image des classes supérieures, s’employaient plus à orner leur vie, à s’illustrer plutôt qu’à simplement rechercher le bien-être et l’argent.

Il loue une liberté plus forte sous l’Ancien Régime qu’après la Révolution, bien qu’intermittente et irrégulière, féconde bien que réduite aux limites des classes. Liberté malsaine qui aida à former les âmes les plus aptes à renverser le despotisme et à résister aux futures lois.


1 Tocqueville cite Commines : Charles VII, qui gagna ce point d’imposer la taille, sans le consentement des états, chargea fort son âme et celle de ses successeurs, et fit à son royaume une plaie qui longtemps saignera.
2 On pense à la thèse d’Althusser dans Montesquieu, la politique et l’histoire affirmant que le philosophe des Lumières, défendant les intérêts de sa classe sociale en affirmant la supériorité du système aristocratique, contribue à saper la légitimité de la monarchie absolue et encourage ainsi bien involontairement la révolution démocratique.

Auteur de l'article :

Jérôme Dugué, banquier, diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Rennes.