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couverture du livre L’Ancien Régime et la Révolution

Résumé de L’Ancien Régime et la Révolution (page 4)

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Les Lumières. Des origines intellectuelles de la Révolution (Livre II – Chapitre 13)

La France est la nation d’Europe la plus littéraire mais ses gens de lettres, bien qu’éloignés des affaires publiques au contraire de leurs homologues anglais, s’intéressent particulièrement à la philosophie politique.

Le point commun de leur réflexion est une volonté de substituer des règles simples basées sur la Raison aux coutumes compliquées et traditionnelles qui régissent la société de leur temps.

L’idée d’une égalité naturelle des conditions leur vient du spectacle quotidien d’une société de privilèges devenus abusifs et ridicules.

Leur goût pour les idées générales et les systèmes leur vient d’une méconnaissance totale de la pratique des affaires publiques, rendue impossible par la confiscation de toute liberté politique par l’administration royale.

La foule des Français qui ne participent pas plus au gouvernement du pays mais qui souffrent concrètement d’une société profondément inégalitaire s’enthousiasment pour ces principes abstraits et un projet de faire table rase du passé.

Les écrivains, remplissant le vide de la domination intellectuelle délaissée par la noblesse, prennent en main la direction de l’opinion, à laquelle la même noblesse finit par adhérer par pur jeu intellectuel.


En lisant les cahiers des doléances, Tocqueville consiste que mis bout à bout, la somme des petits changements demandés par chacun des trois Ordres aboutit inévitablement à l’abolition de toutes les lois et usages ayant cours dans le pays.

La croyance qu’une transformation si radicale puisse intervenir sans heurt, parce que guidée par la seule force de la Raison, est la preuve de la naïveté d’une société non gouvernée par des institutions libres qui vivent quant à elles dans la crainte permanente des renversements.

La Révolution d’Amérique finit de convaincre la foule que le projet de Cité idéale peut advenir.

Le goût pour les idées générales, les systèmes et les grands mots finissent par imprégner le caractère des Français au point que naît ce que Tocqueville qualifie d’ esprit français.

La Révolution sera conduite avec le même attrait pour les théories générales et le même mépris pour les faits réels que dans l’imaginaire des écrivains qui la précède.

La préférence française pour l’Egalité (Livre II – Chapitre 13)

Selon Tocqueville, les économistes sont encore plus radicaux que les philosophes dans leur volonté d’abolir les institutions du passé. Ils s’opposent à tout contre-pouvoir permettant de balancer la puissance centrale : Le système des contre-forces, dit Quesnay, dans un gouvernement est une idée funeste.

La seule garantie qu’ils concèdent contre l’abus du pouvoir est l’éducation publique.

Les économistes n’envisagent pas les libertés politiques permettant à la population de se gouverner par elle-même comme un moyen fiable de mettre en œuvre le système de réforme parfait qu’ils ont à l’esprit et préfèrent s’appuyer à cet effet sur l’administration royale, dont ils admirent la puissance et avec laquelle ils partagent le mépris des vieilles institutions féodales.

Selon les économistes, l’Etat n’a pas seulement à commander à la nation mais à la façonner d’une certaine manière en formant l’esprit et le cœur des citoyens selon un modèle prédéfini. : Il ne réforme pas seulement les hommes, il les transforme ; il ne tiendrait peut-être qu’à lui d’en faire d’autres !.

‘‘L’Etat fait des hommes tout ce qu’il veut’’, dit Bodeau. Ce mot résume toutes leurs théories.

Les économistes sont ainsi favorables au despotisme démocratique, reconnaissant la société comme seul souverain légitime mais la privant de toute faculté lui permettant de diriger et de surveiller elle-même son gouvernement en confiant tout le pouvoir à l’Etat.

Le gouvernement de la Chine de l’époque, que Tocqueville qualifie d’imbécile et barbare, est leur modèle.


Tocqueville cite le Code de la Nature de Morelly qui promeut une doctrine socialiste basée sur un Etat tout-puissant, une abolition de la propriété privée, la tyrannie réglementaire et l’absorption complète de la personnalité des citoyens dans le corps social notamment via l’éducation collective des enfants enlevés à leur famille.

Il illustre par ce biais la préférence des économistes, mais aussi de tout le peuple français, pour l’égalité par-rapport à la liberté.

Les Français se prennent tardivement de passion pour la liberté mais lorsqu’ils accomplissent leur Révolution, ils y sont mal préparés et ils ont déjà conçu en matière de gouvernement des habitudes fort contraires aux institutions libres, en admettant comme idéal une société sans autre aristocratie que celle des fonctionnaires publics, formant une administration toute-puissante, tutrice des particuliers.

Ils essaient ainsi de concilier cette notion avec la liberté politique en mêlant centralisation administrative absolue et corps législatif prépondérant : l’administration de la bureaucratie et le gouvernement des électeurs. La nation dans son ensemble a tous les pouvoirs, mais on attend de chaque citoyen qu’il se comporte en serviteur.

Cette impossible conciliation des contraires explique la difficulté des gouvernements libres en France qui débouchent régulièrement sur des révolutions.


Auteur de l'article :

Jérôme Dugué, banquier, diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Rennes.