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Couverture du livre Ou Bien... ou bien de Kierkegaard

Résumé d'Ou bien... ou bien (page 3)


En réalité, ce qui doit être choisi se trouve dans le rapport le plus profond avec celui qui choisit, en particulier lorsqu’il est question d’un choix qui concerne une question vitale1.

Interpellé, ébranlé dans tout son être par le choix qu’il a à faire, confronté au fait même de sa responsabilité, la première réaction du sujet libre est… la fuite : il ajourne le choix, le remet à plus tard, par la délibération, en évaluant sans fin les conséquences possibles. Ce pourquoi la délibération n’apparaît plus comme un préalable au choix, comme le voulait la tradition, mais au contraire comme ce qui vient lui faire obstacle, le retarder.


Pour illustrer cela, Kierkegaard prend l’exemple du pilote d’un navire : de la même manière que le pilote ne peut suspendre un instant la marche du vaisseau pour calculer s’il va s’écraser ou non contre les récifs dans une longue délibération, l’homme ne peut suspendre le cours de sa vie un seul instant dans une délibération abstraite pour faire son choix.

Ce simple retard, consécutif à la délibération, l’expose à des conséquences tout à fait dommageables : Un instant arrivera à la fin où il n’est plus question d’un « ou bien – ou bien », non pas parce qu’il a choisi, mais parce qu’il a négligé de le faire, ou, si l’on veut, parce que d’autres ont choisi pour lui, parce qu’il s’est perdu lui-même.


Le moment du choix a donc autant d’importance que le choix lui-même : L’instant du choix est pour moi chose très grave. Kierkegaard revalorise ici l’antique notion de « temps opportun » : Voilà pourquoi il est important de choisir et de choisir en temps utile.


L’esthète est précisément celui qui se laisse prendre au piège de la délibération, repousse le moment du choix, analyse à l’infini les conséquences de tout projet, et finalement ne se lance dans aucun d‘entre eux, ne les considérant plus qu’avec raillerie.


Kierkegaard décrit ce phénomène de façon plaisante :

Ou bien pasteur – ou bien acteur. Voilà le dilemme. A présent toute ton énergie passionnée se réveille ; la réflexion, avec ses centaines de bras, saisit l’idée d’être pasteur ; Tu ne trouves aucun repos, jour et nuit, tu y réfléchis ; tu lis tous les ouvrages sur lesquels tu peux mettre la main […]
Maintenant tu as terminé, tu peux parler de l’état du pasteur avec plus de compétence, et en apparence plus d’expérience que maint autre qui a été pasteur pendant vingt ans […]. C’est peut-être vrai, mais tu n’es pas devenu pasteur.
A présent tu te comportes de la même façon en ce qui concerne le second problème, et ton enthousiasme artistique dépasse presque ton éloquence ecclésiastique. Enfin tu es prêt pour le choix. Cependant on peut être sûr que [pendant cette période de réflexion tu as découvert beaucoup de choses, et donc] un nouveau « ou bien – ou bien » apparaît : homme de loi ; avocat peut-être. […] Ta vie se passe ainsi […] tu n’as pas avancé d’un seul pas.


On comprend donc à présent quel est le processus qui mène l’esthète au nihilisme : Alors le fil de la pensée se casse, tu deviens impatient, passionné, tu mets tout à feu et à sang […] Tu méprises les hommes, tu les tournes en ridicule, et tu es devenu ce que tu détestes le plus – un critique, un critique universel auprès de toutes les facultés.


Pourtant le juge Wilhelm se heurte à une difficulté : car il reproche à Johannes, et par-delà à l’approche esthétique, de ne pas parvenir à faire de choix.

Or celui-ci semble en avoir fait un : celui de prendre congé du monde. Le nihilisme semble reposer sur un choix profond, aussi profond que celui de devenir moral. Que lui reprocher donc ?


Le juge Wilhelm balaye cet argument, par quatre réponses qui convergent :

- L’esthète n’a pas choisi la meilleure part

- Il n’a en réalité pas choisi du tout

- Il n’a choisi qu’au sens figuré

- C’est un choix esthétique , qui n’est pas un vrai choix



Comment comprendre cela ? Qu’est-ce qu’un « vrai choix », alors, pour Kierkegaard, si cette expression a un sens ?

Cela nous amène à nous intéresser à présent à cette conception qui s’oppose à l’approche esthétique de l’existence, à savoir : la conception éthique.


L’approche éthique accorde un sens aux notions de bien et de mal, et par-delà, le sens le plus absolu : l’existence n‘acquiert un sens que par ces notions, que l’esthète rejette pour sa part, comme de simples notions vides.

Or ce que soutient Kierkegaard, c’est qu’en réalité, il n’y a choix, au sens absolu du terme, que dans la sphère éthique :

Partout, où en un sens plus strict, il est question d’un « ou bien – ou bien », on peut toujours être sûr que l’éthique y est pour quelque chose. Le seul « ou bien – ou bien absolu » qui existe est le choix entre le bien et le mal.

Néanmoins, Kierkegaard précise sa pensée : en réalité, le choix au sens absolu du terme, celui qui conditionne tous les autres, n’est pas celui que l’on doit faire entre le bien et le mal. Il s’agit bien plutôt du choix que l’on doit faire entre la conception éthique et la conception esthétique de l’existence.


On pourrait même aller plus loin : en choisissant l’éthique, l’homme fait en sorte qu’existe même la possibilité d’un choix. En se tournant vers l’esthétique au contraire, il supprime toute possibilité de quelque chose qui s’apparenterait, de près ou de loin, à un choix.

La raison en est simple : avec l’esthétique disparaît le sérieux de l’esprit ; dans cette sphère, seul le caprice trouve une place, nulle volonté ne peut se faire jour. Le caprice, qui ne choisit que pour l’instant, et à l’instant d’après, […] peut choisir autre chose , n’est donc qu’une force inconsistante sur laquelle aucune existence ne peut s’édifier.

Ce pourquoi le juge Wilhelm soutient que ce qui compte le plus dans le choix n’est pas de choisir ce qui est juste, mais l’énergie, le sérieux et la passion avec lesquels on choisit .


1 Les références des citations sont disponibles dans l'ouvrage Kierkegaard : lecture suivie