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Couverture du livre Ou Bien... ou bien de Kierkegaard

Résumé d'Ou bien... ou bien (page 6)


Pour démontrer cela, Kierkegaard propose une expérience de pensée : donnons-leur ce qu’ils aiment, richesse, honneurs, femmes, ils ont l’air heureux. Mais enlevons-leur ces biens, et ils deviennent malheureux. Pourtant, on ne les a pas privés de quelque chose d’essentiel à leur Moi, seulement de quelque chose d’inessentiel, d’accidentel (on reste la même personne qu’on ait peu ou beaucoup d’argent): Par conséquent, s’ils désespèrent, cela doit venir d’un désespoir antérieur1.

Un syllogisme imparable qui lui permet de conclure :

Il paraît donc que toute conception esthétique de la vie est du désespoir, et que chaque individu qui vit esthétiquement est désespéré, qu’il le sache ou non […] Par conséquent, il semblerait tout naturel de faire le mouvement par lequel l’éthique s’affirme.


D’autre part, comment peut-on être heureux lorsqu’on n’a pas de volonté (qui appartient au stade éthique seul) ? La mélancolie est un péché […] c’est le péché de ne pas vouloir profondément et sincèrement, et c’est donc la mère de tous les péchés.

Enfin, il donnera bien plus loin deux arguments supplémentaires : Toute conception de la vie ayant une condition en dehors d’elle est désespoir, et c’est toujours du désespoir que d’avoir sa vie dans ce qui peut passer.


On accède alors à la dernière forme – et la vérité- de la vie esthétique : la mélancolie. Ici, le nihilisme sous-jacent à cette conception de l’existence se déploie dans toute sa mesure. C’est la figure du dandy désabusé.

En effet, dans cette dernière forme, l’esthéticien continue à vivre dans la jouissance, mais il la regarde avec mépris : Tu en as bien terminé avec tout le fini. Et cependant tu ne peux pas l’abandonner. Comparé à ceux qui font la chasse à la satisfaction, tu es satisfait, mais ce dont tu es devenu satisfait est le mécontentement absolu.

A proprement parler, Kierkegaard n’utilise pas le terme de « nihilisme » : même si on le trouve sous la plume de Hegel, ce terme ne sera en effet popularisé qu’à partir de 1862, date de la parution de Père et fils de Tourgueniev. Il parle plutôt de « scepticisme » : Tes discours finissent toujours en scepticisme très pur.


Ce caractère désabusé, représentatif du stade ultime de l’esthétique, se manifeste par plusieurs signes :

- un refus du travail : Tu es un ennemi de l’activité [...] Tu es oisif [...] Tu mets les mains dans les poches et tu regardes la vie. Ou un travail décousu, qui ne dure que six mois puis est abandonné.

- on vit dans l’instant, puisqu’aucun projet ne peut se déployer dans le cadre d’un tel scepticisme

- rejet universel des plaisirs : si on offrait à un tel homme un million, ou l’amour de la plus belle jeune fille, on obtiendrait comme réponse Oui, on pourrait peut-être y sacrifier une journée.

- orgueil : Tu es fier

- méchanceté : Tu es perfide avec les gens, ce qu’on ne peut cependant pas te reprocher du point de vue éthique ; car tu te trouves en dehors des déterminations éthiques.


Surtout, il y a une sorte de fausseté, car l’esthéticien n’avoue pas franchement aux autres qu’il est malheureux. C’est au contraire quelqu’un qui fait la fête, qui rit aux éclats, qui donne le change : Tu trouves du plaisir à tromper les gens par ton rire, qui ressemble plus, en fin de compte, à un ricanement.

Mais lui-même est conscient de son état : Vois-tu [...] cette vie-là est un désespoir, cache-le à d’autres, tu ne peux pas te le cacher à toi-même.


Comment sortir de cet état ? Comment quitter cette conception esthétique de la vie, pour la conception éthique, et ainsi accéder au bonheur ?

Kierkegaard détaille les étapes de cette profonde transformation existentielle, qui constitue comme une seconde naissance : Ce n’est pas à un autre être que tu dois donner naissance, mais à toi-même.

Il s’agit tout d’abord de sortir de la fausseté, de prendre conscience de soi, de son malheur, en toute vérité. Il faut prendre la pleine mesure de sa mélancolie, et s’assumer en tant que tel. Certains ne réussissent jamais cette tâche essentielle, et passent toute leur vie dans le mensonge et le déni : C’est un instant grave et important celui où on […] prend conscience de soi-même comme celui qu’on est. Et pourtant, on peut bien ne pas le faire. Voilà un « ou bien – ou bien.

Comment faire ?

En fait, prendre conscience de soi-même, prendre conscience de son malheur et l’assumer, c’est désespérer. La clé du bonheur, c’est donc, paradoxalement, en un premier temps, le désespoir :

Il n’y a pas d’autre issue pour toi que celle que j’ai indiquée : désespère ! Choisis le désespoir : - le désespoir lui-même est un choix ; car on peut douter sans choisir de douter, mais on ne peut pas désespérer sans le choisir. Et en désespérant, on choisit à nouveau, et que choisit-on ? On se choisit soi-même, non pas dans son immédiateté, non pas comme un individu quelconque, mais on se choisit soi-même dans sa validité éternelle.


Le désespoir, retour à soi, dans sa vérité première, acceptation de soi dans la pleine reconnaissance de son état mélancolique : on le sait, Kierkegaard a consacré un ouvrage entier à cette notion, le Traité du désespoir, quelques années après la parution de Ou bien… ou bien.

Ici, l’analyse est plus rapide, mais Kierkegaard donne déjà ses pleines lettres de noblesse à cette catégorie philosophique encore peu explorée par les penseurs antérieurs (même si Hegel a déjà consacré un plein chapitre de la Phénoménologie de l’Esprit à la « conscience malheureuse »).

La première chose à faire est de distinguer cette notion d’une notion voisine, celle du doute. Cette dernière est au contraire une catégorie reine pour la philosophie moderne, depuis que Descartes en a fait une condition préalable à l’exercice de toute réflexion saine : La philosophie moderne a dit plus qu’il n’était nécessaire que le doute est à la base de toute spéculation.

Quelle différence alors, entre ces deux concepts ?

1 Les références des citations sont disponibles dans l'ouvrage Kierkegaard : lecture suivie