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couverture du livre

Résumé de Difficile liberté (page 5)

2. L'essence du judaïsme : l'approche de Lévinas

Si tout le commentaire qui précède nous permet d'entrevoir, dans les grandes lignes, ce que le judaïsme n'est pas, nous n'avons encore rien dit de ce qu'il revendique en propre et qui fait dire à notre auteur, en dépit de toutes les épreuves vécues : Qu'il fait bon d'être juif ! 1.

Nous n'aurons pas la prétention, néanmoins, de cerner l'essence du judaïsme, qui au dire de Lévinas est comparable au mouvement de la spirale :

La spirale cherche, en vain, à envelopper son propre mouvement. Représente-t-elle graphiquement la pensée juive moderne chez qui l'essence du judaïsme apparaît comme une inlassable tentative de définir cette essence même ?

Nous nous contenterons donc de quelques modestes remarques sur notre lecture.

Pour tout un chacun, le peuple juif est d'abord celui qui a révélé Dieu, et par conséquent celui qui le « connaît ». Pour le penseur juif qu'est Lévinas, l'homme peut connaître Dieu de deux manières : au moyen de la Thora, d'une part, médiation par excellence entre Dieu et l'homme ; à travers le visage d'autrui, d'autre part, c'est-à-dire dans ma relation à l'autre, aux autres hommes. Autrement dit, accéder à la vérité, connaître Dieu, c'est obéir aux commandements et agir dans une perspective éthique.

La Thora : enseignement, Loi, commandement, rite

Dès la page 29, le lecteur chrétien est étonné : l'éducation pour le juif se confond avec l'instruction et l'ignorant ne saurait être réellement pieux nous dit Lévinas.

Par instruction, Lévinas sous-entend que la véritable piété fait appel à la raison, à l'intelligence, mais exige également la connaissance (nous sommes bien loin de l'exclamation de Jésus dans l'Evangile : Ce que tu as caché aux sages, tu l'as révélé aux tout-petits !).

Rappelons que pour Lévinas, Dieu ne se laisse pas contempler autrement qu'à travers la Thora, qui est au sens étymologique un enseignement. On ne fréquente donc pas le Divin autrement que dans une dialectique du Maître et du Disciple, ce qui suppose l'apprentissage, l’étude. Il écrit :

D'où, dans toute la vie religieuse juive, l'importance de l'exercice de l'intelligence appliquée certes, en premier lieu, à la Thora. Mais la notion de la révélation s'élargira rapidement et comprendra tout savoir essentiel [...] L'existence humaine [...] est le vrai lieu où la parole divine rencontre l'intellect et perd le reste de ses vertus prétendument mystiques 2.

En conséquence, le savoir étant indissociable d'une piété authentique, il s'ensuit tout naturellement que la foi juive exige un effort, un labeur, un travail. On ne fréquente pas Dieu dans la facilité, mais à la force du poignet ! A l'idée de la grâce qui inspire, le pharisien oppose le labeur des questions qui surgissent, plus fécondes, après chaque solution. [...]. Par-delà l'impatience de la vie [...] il connaît 3


C'est dans cette perspective qu'à la fin de son livre, dans un article consacré à l'éducation juive, Lévinas préconise la création d'écoles talmudiques dans lesquelles l'étude de la Thora pourrait reprendre toute sa fonction d'enseignement : Pour que les valeurs permanentes du judaïsme, contenues dans les grands textes de la Bible, du Talmud et de leurs commentateurs puissent nourrir les âmes, il faut qu'à nouveau elles nourrissent les cerveaux 4

Eriger le judaïsme en science, penser le judaïsme, c'est rendre à nouveau ses textes enseignants 5 car rien ne s'impose véritablement [...] qui ne porte le sceau de l'intellect 6 conclut-il.


Toutefois, la Thora, pour un juif, ne signifie pas seulement « enseignement », mais également « Loi ». C'est dans ce sens notamment qu'il faut comprendre cette phrase de Lévinas :

Je suis heureux d'appartenir [...] au peuple dont la Thora représente ce qu'il y a de plus élevé et de plus beau dans les lois et les morales 7.


En quoi consiste donc cette Loi que Lévinas considère comme l'évidence intérieure de la morale ?

Nous n'allons pas recenser ici tous les développements de Lévinas sur la Loi, mais simplement retenir quelques points qui nous ont frappés.

Dans le chapitre consacré à « La Loi du Talion », notamment, l'auteur s'exprime de manière significative sur la loi morale, cherchant à expliquer la raison de son apparente dureté : Le principe d'apparence si cruel que la Bible énonce ici [dans la Loi du Talion] ne recherche que la justice. Il s'insère dans un ordre social où aucune sanction, si légère soit-elle, ne s'inflige en dehors d'une sentence juridique.[...] La violence appelle la violence. Mais il faut arrêter cette réaction en chaîne. La justice est ainsi […] L'humanité naît dans l'homme à mesure qu'il sait réduire les offenses mortelles à des litiges d'ordre civil, à mesure que punir se ramène à réparer ce qui est réparable et à rééduquer le méchant. [...] La Bible hâte le mouvement qui nous apporte le monde sans violence 8

Quitte à hâter ce mouvement dans la douleur (« fracture pour fracture »), par des paroles qui dans leur rigueur, commandent de très haut.


Aussi, le monde étant tel qu'il est, c'est-à-dire violent, la justice ne peut-elle se faire jour sans la médiation d'une Loi, dont la sévérité n'a d'égale que la dureté du monde auquel elle s'applique. Pour s'arracher au mal, l'homme doit constamment lutter contre lui-même, se dompter, se civiliser, s'humaniser. Telle est l'austère fonction de la Loi.

C'est pourquoi la Loi mosaïque ne s'exprime pas autrement que sous la forme de commandements (mitsvoh) impérieux :

Le judaïsme [...] où la Révélation est [...] inséparable du commandement, ne signifie pas le joug de la Loi, mais précisément l'amour. Le fait que le judaïsme est tissé de commandements atteste le renouvellement, à tous les instants, de l'amour de Dieu pour l'homme [...] Il se trouve ainsi que le rôle éminent de la Mitzwah dans le judaïsme signifie non pas un formalisme moral, mais la vivante présence de l'amour divin, éternellement renouvelé 9.

Trait typiquement juif : l'amour lui-même, qui passe généralement pour un sentiment spontané, une inclination naturelle plus ou moins contrôlable, est pour le judaïsme un commandement, au sens strict :

L'amour se commande. On peut commander l'amour, mais c'est l'amour qui commande l'amour, et il le commande dans le maintenant de son amour, de sorte que le commandement d'aimer se répète et se renouvelle indéfiniment 10.

Autrement dit, pour que l'amour se renouvelle indéfiniment, pour qu'amour rime avec toujours, il faut un commandement.

De même, la connaissance de Dieu nous vient comme un commandement, comme une Mitzwah. Connaître Dieu, c'est savoir ce qu'il faut faire. Ici l'éducation - l'obéissance a l'autre volonté - est l'instruction suprême 11 écrit-il.

Auteure de l'article :

Auteure de romans, de nouvelles, d'articles dans différentes revues, Florence Euverte a co-fondé les éditions Inédits, qui proposent un accompagnement dans la réalisation et la publication de livres collaboratifs.

1 p. 48
2 p. 30
3 p. 49
4 p. 371
5 p. 372
6 p. 373
7 p. 203
8 p. 209
9 p. 267
10 p. 266
11 p. 33