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couverture du livre

Résumé de Difficile liberté (page 6)


C'est dans cette perspective qu'il convient d'envisager le rôle du rite et de la liturgie dans le Judaïsme... Ah ! Ce fameux ritualisme juif tant décrié dans nos paroisses... Ecoutons plutôt ce que nous dit Lévinas pour comprendre le sens profond du rite, qui rejoint le sens profond de la Loi, à savoir cette fonction d'éducation de l'homme, qui consiste à imposer une règle sévère à sa propre nature 1.

L'auteur de Difficile Liberté associe en effet la « discipline rituelle » à l'éducation de soi 2, à un recul à l'égard de soi et de la nature 3 : La loi est effort. La quotidienne fidélité au geste rituel demande un courage, plus calme, plus noble que celui du guerrier4 affirme-t-il, pour préciser aussitôt :

La loi pour le Juif n'est jamais un joug. Elle comporte sa joie propre dont se nourrissent une vie religieuse et toute la mystique juive 5

Judaïsme et éthique

Le judaïsme ressent la présence de Dieu à travers la relation avec l'homme 6 annonce d'emblée Lévinas, développant ce thème dans de magnifiques pages, notamment sur le visage qui est comme une ouverture vers l'infini et donc sur Dieu.

L'éthique n'est pas le corollaire de la vision de Dieu, elle est cette vision même 7 ajoute-t-il, ce qui signifie concrètement que le divin traverse le rapport avec les hommes et coïncide avec la justice sociale [...] Moïse et les prophètes ne se soucient pas de l'immortalité de l'âme, mais du pauvre, de la veuve, de l'orphelin et de l'étranger 8

Aussi l'aspiration à une société juste est-elle dans le judaïsme, par-delà toute piété individuelle, une action éminemment religieuse : il est donc dans la nature même du judaïsme de chercher à instituer une société où la justice, au lieu de rester une aspiration à la piété individuelle, est assez forte pour s'étendre à tous et se réaliser 9.


Réalisation d'une société juste ? Interrogeons donc Lévinas sur l'Etat d'Israël, occasion enfin donnée au judaïsme d'accomplir sa loi sociale... Israël où, au dire de l'auteur, les grands mots « amour », « présence de Dieu » se concrétisent avec une vraie grandeur dans les sordides questions de la nourriture, du travail et du logement [...] Un Israélien ressent le fameux contact de Dieu dans les entreprises sociales 10, parce que l'esprit de la Thora annonce les valeurs essentielles de la démocratie et du socialisme, étant dignes d'animer un État d'avant-garde 11.

En effet, accomplir la loi ne revient pas à la restauration préalable d'institutions périmées, mais la situation politique et sociale décrite par la Bible et le Talmud est l'exemple d'une situation donnée rendue humaine par la loi. On peut en déduire la justice pour toute situation 12.

Le lecteur sera en droit de se demander si cette belle idée, qui consiste à asseoir un État sur l'esprit de la Thora, suffit à faire d'Israël un Etat « Juste ».

Conscience morale, responsabilité, élection

Pour comprendre le sens du messianisme juif, reprenons les paragraphes qui permettent de saisir la conception de l'homme chez Lévinas, le passage de l'état de nature à l'état de culture, ou plutôt le passage de l'état sauvage à l'éveil de la conscience :

Qu'est-ce qu'un individu - l'individu solitaire - sinon un arbre croissant sans égards pour tout ce qu'il supprime et brise, accaparant la nourriture, l'air et le soleil [...] ? Qu'est-ce qu'un individu, sinon un usurpateur ? Que signifie l'avènement de la conscience [...] sinon la découverte des cadavres à mes côtés et mon effroi d'exister en assassinant ? Attention aux autres [...] - la conscience, c'est la justice. Etre sans être meurtrier 13.


Pour Lévinas, l'homme sans la loi est pire encore qu'un loup pour l'homme ! Mais suivons le raisonnement, qui précise ailleurs ce que signifie « l'avènement de la conscience » :

Chacun, comme « je », est à part de tous les autres à qui le devoir moral est dû. L'intuition fondamentale de la moralité consiste peut-être à s'apercevoir que je ne suis pas l'égal d'autrui ; et cela dans le sens très strict que voici : je me vois obligé à l'égard d'autrui et par conséquent je suis infiniment plus exigeant à l'égard de moi-même qu'à l'égard des autres [...] il faut que les êtres puissent exiger de soi plus qu'ils n'exigent d'autrui, qu'ils se sentent des responsabilités dont dépend le sort de T'humanité et qu'ils se posent, dans ce sens, à part de l'humanité 14.


Pour Lévinas, l'élection d'Israël n'a pas d'autre sens que celui de cette « responsabilité » morale par rapport à l'humanité toute entière : La révélation de la moralité, qui découvre une société humaine, découvre aussi la place d'élection, qui, dans cette société humaine universelle, revient à celui qui reçoit cette révélation. Election qui n'est pas faite de privilèges mais de responsabilités 15.

En ce sens, le « moi » juif, qui se sent responsable de l'autre, son « obligé », rejoint en réalité tout « moi » humain qui se respecte, et c'est ce qui fait l'universalisme de la vocation d'Israël : L'élection est un surplus d'obligations pour lequel se profère le « je » de la conscience morale 16.

Tout homme est appelé à avoir conscience de sa responsabilité vis-à-vis d'autrui, Lévinas le répète, même si c'est le propre du judaïsme que d'être, selon ses propres termes, une extrême conscience, c'est-à-dire d'être comptable et responsable de tout l'édifice de la création 17. Dans Difficile Liberté, le messianisme juif n'a pas d'autre signification.

Auteure de l'article :

Auteure de romans, de nouvelles, d'articles dans différentes revues, Florence Euverte a co-fondé les éditions Inédits, qui proposent un accompagnement dans la réalisation et la publication de livres collaboratifs.

1 p. 34
2 p. 35
3 p. 400
4 p. 35
5 p. 35
6 p. 31
7 p. 33
8 p. 36
9 p. 38
10 p. 305
11 p. 306
12 p. 307
13 p. 145
14 p. 39
15 p. 39
16 p. 247
17 p. 79