1. Accueil
  2. Auteurs
  3. Heidegger
  4. Introduction à la recherche phénoménologique
  5. Page 3
couverture du livre Introduction à la recherche phénoménologique de Heidegger

Résumé de l'Introduction à la recherche phénoménologique (page 3)


Cette fois-ci, c’est dans le traité De l’Interprétation que Heidegger va chercher une réponse à son questionnement. Le logos y est défini comme un être vocal qui signifie, il est voix1 : « phônê semantiké », φωνή σημαντική.


Voici donc le cheminement : qu’est-ce que 1) la phônê 2) la phônê semantiké 3) le logos ?

Ce qui différencie la voix (« phônê ») d’un simple son, c’est que la voix est produite par un être vivant. La voix suppose une âme, contrairement au son, qui n’est que le résultat mécanique de quelque chose [qui] vient heurter quelque chose dans quelque chose.

Mais un être vivant peut émettre de simples sons, comme un claquement de langue. Ce n’est que lorsqu’ il y a, contenu au beau milieu du son, quelque chose qui apparaît […] qu’il y a voix.

Ainsi le son est voix […] lorsqu’il donne quelque chose à percevoir. Le son devient alors « phônê semantiké », parce qu’il porte un sens.


Le logos est un discours, dont les parties sont en elles-mêmes signifiantes. « Le poêle chauffe » : « poêle » a un sens en lui-même, « chauffe » également.

Le langage, logos, n’est pas une simple caractéristique parmi d’autres, contingente, de l’homme :

La genèse du mot ne procède pas de l’être physiologique, mais de l’existence (Existenz) proprement dite de l’être humain. Ce n’est que dans la mesure où l’homme est dans le monde, où il veut quelque chose dans ce monde et le veut pour lui-même, qu’il parle.

Ou encore : Le discours n’est pas une qualité au même titre qu’ « avoir des cheveux ». Le discours fait partie de la constitution de l’existence (Existenz) spécifique de l’homme. L’homme est au monde de sorte qu’en étant avec le monde, il parle sur le monde.


Ce qui se joue dans le langage, c’est un double phénomène. Dans et par le langage, le monde se découvre à l’homme, et l’homme se découvre lui-même.

En effet, en nommant quelque chose, je sors de mon rapport naturel avec le monde, aveuglé en quelque sorte par mes préoccupations quotidiennes, pour le considérer en lui-même. Ce pourquoi Aristote remarquait que celui qui parle amène la pensée à fixité. On sort du tourbillon de l’action pour atteindre le repos attentif de la pensée.

Ainsi le logos n’est pas un simple outil comme la main, mais la parole est l’être et le devenir de l’homme lui-même.

C’est là, pour Heidegger, une vérité qui était apparue à la civilisation grecque. Celle-ci se distingue par son rapport spécifique au langage :

Les Grecs vivaient, selon une modalité insigne, dans la langue et c’est par elle qu’ils étaient vivifiés, ils en étaient bien conscients.


Néanmoins, le logos porte en son sein la possibilité de son propre renversement. En effet, il peut être discours monstratif (apophantique), dans lequel se dévoile ce qui apparaît, mais il peut aussi le recouvrir, le dissimuler, faire accroire quelque chose.

Dans ce cas, il ne donne plus l’étant comme découvert, ne montre plus l’étant en tant qu’étant. Nous ne sommes plus dans la vérité (« aletheia », ἀλήθεια) mais le langage nous induit en erreur (« pseudês », ψευδής).


Heidegger rappelle cette remarque d’Aristote, dans De l’Ame (III, 3, 427b) : Les philosophes qui l’ont précédé n’ont pas suffisamment prêté attention au fait que l’homme la plupart du temps se meut dans l’illusion.

Ne suffit-il pas de s’en tenir à la simple perception, de s’en tenir à un stade qui se situerait en deçà de celui du langage, pour éviter l’illusion, et accueillir simplement l’étant tel qu’il se donne ? Heidegger écarte cette éventualité, en se fondant sur un passage de De l’Ame d’Aristote (II, 12, 424a) : la perception est d’ores et déjà logos.

Dès l’accomplissement de la perception, dans la manière dont elle distingue une chose d’une autre, il y a un discours. Le discours ne fait qu’un avec la guise de la perception. Le discours est à l’œuvre dès cette différenciation.

Si ce n’était pas le cas, nous ne pourrions pas même distinguer le blanc du noir, mais nous en resterions à un chaos informe du divers de la sensation. La perception suppose que quelque chose comme un eidos, une essence commune à plusieurs choses, puisse être saisie, afin de reconnaître ce qui se présente à nous, et cela suppose que la perception soit déjà quelque chose de semblable à un logos.


On retombe donc dans la difficulté soulignée ci-dessus : le risque inhérent au logos, la possibilité de l’erreur, est irréductible :

L’αἴσθησις [aisthesis] est au cœur de cet être qui possède toujours le langage. Que cet être profère un son ou pas, il est toujours en quelque manière langage. Dans la perception, le langage ne parle pas seulement de surcroît, mais il va même jusqu’à diriger la perception […]. Dans la mesure où le langage est pris dans une perspective traditionnelle et ne fait pas l’objet d’une appropriation originaire, il recouvre les choses, ce même langage dont la fonction fondamentale est pourtant bien de montrer les choses. Ainsi se comprend qu’il y ait également dans le Dasein de l’homme […] la possibilité de la tromperie et de l’illusion.

1 Les références des citations sont disponibles dans l'ouvrage Heidegger : lecture suivie