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couverture du livre Introduction à la recherche phénoménologique de Heidegger

Résumé de l'Introduction à la recherche phénoménologique (page 8)


Dans cet ouvrage, Husserl soutient qu’on a perdu jusqu’à l’idée de philosophie considérée comme science rigoureuse1. Comment expliquer cette falsification de l’idée de philosophie, ou mieux, son affaiblissement ?


Descartes, Kant, Fichte, ou encore Hegel partagent cet idéal d’une philosophie scientifique. Mais la philosophie romantique allemande remplace cet idéal par un autre, en raison de deux tendances inscrites dans ce courant : son naturalisme et son historicisme.


Le naturalisme naît du découvrement de la nature, c’est-à-dire de la découverte que cette dernière peut être l’objet d’une science éminente, [..] la science mathématique de la nature, et de l’application de celle-ci à tout type d’étant, même non naturel : Le genre d’être et d’objet propre aux enchaînements naturels devient par son contenu, le fil directeur pour saisir tout genre d’être et d’objectivité.

Ce phénomène est général et affecte tous les champs du savoir, y compris la philosophie :

Le champ objectif de la philosophie et sa méthode sont tombés sous la dépendance de l’idée de science mathématique de la nature.

On cherche donc en philosophie, comme ailleurs, des lois universelles.

De ce fait, les objets spécifiques de la philosophie, parmi lesquels, la conscience, tombent sous la coupe de la science de la nature.


Pour résumer, l’un des effets notables de la naturalisation de la philosophie, c’est la naturalisation de la conscience.

Cela se traduit ainsi : on va chercher les lois de la conscience, c’est-à-dire procéder à la critique de la connaissance, afin de fonder la légitimité des positions et des actes de la conscience. De là l’essor de la psychologie expérimentale.

Husserl reprend à son compte cette approche, au lieu d’en critiquer les présupposés, puisqu’il cherche les lois logico-formelles de la conscience.

Heidegger remarque d’ailleurs que Husserl n’a jamais voulu dire quoi que ce soit contre la psychologie expérimentale comme telle. Même si ses travaux ne relèvent évidemment pas de cette discipline (ce serait commettre là un grave contresens), il partage avec celle-ci cette tâche commune : saisir les lois universelles qui régissent le fonctionnement de la conscience, dans le cadre de la naturalisation de celle-ci.


Enfin le naturalisme procède à la naturalisation des idées, c’est-à-dire que la légalité des idées, celle qui découle de leur signification même, est prise à tort pour une légalité du cours naturel du processus de penser.

Dit plus simplement, on va confondre la manière dont les idées s’articulent (par exemple : les lois d’association liées à l’habitude) avec la signification des idées elles-mêmes. De ce fait, l’idée, la légalité idéale n’est tout simplement pas aperçue par le naturalisme.

Husserl a en revanche clairement aperçu ce problème, et l’a, pour la première fois, dénoncé dans la Philosophie comme science rigoureuse. Pour lui, cela a conduit la science de la nature à s’imaginer pouvoir résoudre par elle-même les problèmes de la théorie de la connaissance, et a empêché du même coup de prendre en vue l’objectivité spécifique que constitue en tant que telle la « conscience ».

Concluons : La caractéristique du naturalisme est qu’il ne voit pas les idées, il est aveugle aux idées.


Husserl montre de manière décisive que la conscience ne peut être appréhendée comme un objet de la nature, en faisant remarquer qu’ à la différence de l’être de la nature, la conscience a ceci de particulier qu’il n’y a pas en elle quelque chose comme une unité identique qui se maintiendrait de part en part à travers une multiplicité d’expériences directes […] Chaque vécu perceptible n’est déjà plus fondamentalement le même à l’instant où l’on va pour le percevoir une nouvelle fois.

C’est parce que la conscience est un flux qu’elle échappe à la réduction naturaliste : C’est là le fondement concret de la caractérisation de l’être du psychique comme courant et comme flux.

Elle ne peut être prise en charge par une science mathématique de la nature, mais est accessible à une intuition des essences. L’approche est donc tout autre, et légitime la phénoménologie comme voie d’accès à cet étant si particulier qu’est la conscience.


Voici donc brièvement résumée la critique husserlienne du naturalisme, dont Heidegger va à présent examiner la légitimité.

Pour lui, la démarche husserlienne prend la forme d’une clarification des problèmes. Or qu’est-ce que cela implique, au juste ? En réalité, c’est là un point crucial :

Il s’agit pour Husserl de mener radicalement à son terme la tendance scientifique orientée sur les sciences de la nature. En concevant la critique comme une clarification des problèmes, la critique s’est décidée pour la tendance scientifique du naturalisme. Elle prend la forme d’une purification visant à éliminer tous les moments susceptibles de mettre en péril la conquête d’une évidence et d’une certitude absolues.


On le voit : il s’agit d’un complet renversement. Selon Heidegger, Husserl reprend à son compte inconsciemment les présupposés de ce qu’il s’est donné pour tâche de réfuter : le naturalisme, et ce faisant, il lui donne raison, finalement.

Pour mieux comprendre ceci, il nous faut nous arrêter sur l’expression « clarification de problèmes ». Qu’est-ce qu’un problème ?

1 Les références des citations sont disponibles dans l'ouvrage Heidegger : lecture suivie