Résumé de l'Introduction à la recherche phénoménologique (page 5)
Deuxième chapitre : la phénoménologie d’aujourd’hui dans l’interprétation que Husserl lui-même en donne
Ce qui caractérise la modernité, et vient modifier fondamentalement le sens de ce qu’on entend par phénoménologie, c’est la recherche de l’absolument certain et de l’évidence.
C’est Descartes qui initie une telle démarche, qui est reprise sans distance critique non seulement dans les sciences, mais aussi par la philosophie, et en particulier Husserl.
Or pour Heidegger cette domination d‘une idée vide et donc fantasmatique de certitude et d’évidence
1 est désastreuse. Pourquoi ?
La démarche authentique, celle que nous devrions suivre dans nos investigations dans tel ou tel domaine, serait de laisser les « états de chose » se révéler à nous, les accueillir sans idée préconçue, simplement constater ce qui se donne là, dans telle ou telle expérience. C’est ensuite seulement qu’il faudrait chercher comment élaborer ce « matériau », pour atteindre la plus grande certitude possible. Et s’il est impossible d’atteindre l’évidence parfaite, ce n’est pas grave : nous n’allons pas rejeter ce « trésor », ce donné qui en tant que tel constitue un absolu, pour des questions méthodologiques.
L’évidence, la certitude, ne relèvent que de la méthodologie, et de ce fait sont toujours inférieures, secondaires, par rapport au donné, à cette sorte de « matière première » qui se donne à nous dans l’état de fait : l’étant que nous rencontrons -Heidegger dit « qui fait encontre » - dans le phénomène.
Or Descartes a opéré un renversement : c’est ce simple principe méthodologique qui devient premier. Les conséquences sont immenses, mais ne sont qu’effleurées par Heidegger, dans cette introduction du deuxième chapitre.
C’est l’objet même de cet ouvrage, l’Introduction à la recherche phénoménologique, que d’identifier l’origine d’un tel renversement - Descartes -, déterminer comment celui-ci s’est précisément opéré, ce qui nous amènera à une lecture attentive des Méditations métaphysiques, et saisir l’ensemble de ses conséquences dans le domaine du savoir.
Ce qu’il soutient ici pour le moment, c’est que ce renversement nous amène à écarter les états de chose qui ne présentent pas un degré parfait de certitude : nous perdons alors une grande partie de ce donné que nous devrions pourtant accueillir. Ce monde, horizon dans lequel se donne les états de chose, perd son statut d’absolu premier, pour ne nous apparaître plus que comme contingent et secondaire, face à l’absolu que constitue à présent la règle méthodologique universelle :
La domination de cette idée déterminée d’évidence s’exerce avant toute libération véritable de la possibilité d’encontre de ce qui est proprement en cause en philosophie. Le souci d‘atteindre une connaissance absolue déterminée, appréhendée purement en idée, prévaut sur toute autre question relative aux choses réellement décisives, ce qui signifie que l’évolution de la philosophie toute entière connaît un renversement […]. Toutes les questions philosophiques décisives sont dorénavant déployées dans la seule perspective d’atteindre une certitude absolue, et en même temps avec la volonté de dépasser l’être-là du monde en tant que c’est un monde contingent.
La connaissance prime désormais sur son objet, la discipline sur son thème, alors qu’une approche saine exigerait le contraire : C’est une idée déterminée de la connaissance qui détermine le thème, au lieu que ce soit inversement un état de choses déterminé qui fixe les possibilités de son élaboration scientifique
.
Dans le domaine de la phénoménologie, c’est le champ thématique
lui-même, l’objet en quelque sorte autour duquel doit se constituer cette discipline, qui a été perdu, suite à cela.
Le thème originaire de la considération phénoménologique
n’est autre que le phénomène, dont Heidegger fixe la signification plus précisément ici.
On sait que les Grecs distinguaient :
- les « pragmata » (πράγματα ) , les choses auxquelles on a affaire
- les « kremata » (χρήματα), les choses utilisées pour remplir un besoin
- les « poioumena » (ποιούμενα), choses produites, fabriquées, par l’homme
- les « phusika » (φυσικα), choses naturelles, non produites par l’homme
- les « mathemata » (μαθήματα), choses qui peuvent être apprises, ce dont il y a un savoir
- l’ « ousia » (ούσια), la substance qui désigne aussi les biens, la fortune
Or Heidegger remonte à un niveau plus originaire que ces catégories mondaines
: le phénomène. Ces concepts chosiques
ne sont que des déterminations ultérieures d’un niveau plus fondamental, le caractère fondamental de l’étant en tant qu’être : la présence
.
Autrement dit, avant de se constituer en tant que chose, que l’on pourra distinguer en différents types, il faut simplement que l’étant « fasse encontre », nous apparaisse, c’est-à-dire soit pour nous un phénomène.
C’est ce sens là que Heidegger donne au terme « phénomène » :
φαινόμενα constitue le mode d’encontre le plus immédiat de l’étant dans son comment formel. Φαινόμενα, c’est précisément l’être abordé discursivement avec tous ces caractères, mais envisagé uniquement dans cette perspective : se-montrer-soi-même
.
Or c’est cela l’objet propre de la phénoménologie, son « champ thématique », son « thème originaire », et non celui que Husserl lui a assigné : la conscience.
En effet, si l’on se demande quel est le thème ou le complexe d’être réal qui forme l’objet de la recherche que l’on désigne aujourd’hui sous le nom de phénoménologie ?
, Husserl nous répond, dans les Idées directrices pour une phénoménologie qu’il s’agit de la conscience, puisqu’il définit la phénoménologie comme la science éidétique descriptive de la conscience pure transcendantale
.
Il faut comprendre ce revirement du champ thématique [de la phénoménologie] qui de l’étant comme monde devient l’étant qu’est la conscience du monde
.
1 Les références des citations sont disponibles dans l'ouvrage Heidegger : lecture suivie