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couverture du livre Introduction à la recherche phénoménologique de Heidegger

Résumé de l'Introduction à la recherche phénoménologique (page 4)


Tromperie, illusion… Nous devons acquérir une conception plus précise de ces notions, et pour cela interroger à nouveau les Anciens. Qu’est-ce que l’erreur ?


Pour cette recherche, on aurait pu s’attendre à ce que Heidegger examine la doctrine des sceptiques grecs, ceux qui ont probablement consacré le plus d’attention aux nombreuses difficultés qui guettent celui qui recherche la vérité : illusions d’optique, erreurs de raisonnement…

Mais ici encore, c’est Aristote que Heidegger interroge, car celui-ci représente, selon lui, la source où la pensée grecque se donne originairement.

Heidegger présente donc ici la théorie aristotélicienne de l’erreur, le « pseudos » (ψεῦδος) : nous résumerons brièvement celle-ci.


Dans la Métaphysique, Aristote distingue trois types de choses susceptibles de fausseté : les choses elles-mêmes (comme de l’or faux), le discours (donc le langage), l’homme lui-même.

La possibilité du ψεῦδος [pseudos] est fondée dans le λόγος [logos] lui-même1, en ce que lorsqu’on cherche dans le langage à montrer ce qui est là en tant qu’il est là, on doit le distinguer des autres choses qui l’entourent. Or le ψεῦδος [pseudos] consiste en montrant quelque chose, à le faire passer pour autre chose ; c’est donc plus que le simple recouvrement, lequel ne fait pas passer quelque chose pour autre chose qu’il n’est.

Ce n’est là qu’une source d’erreur possible. On peut aussi prétendre qu’il existe tel ou tel état de chose, alors qu’il n’est absolument pas. Dans ce cas, le non-être est présenté par le langage comme un être. D’autres cas sont possibles, que nous n’examinerons pas ici.


On le voit : pour chaque chose, il existe un logos simple, celui où je détermine la chose elle-même ; je ne m’écarte pas d’elle : un discours dans lequel je dis l’étant en sa vérité. Mais à côté de ce logos unique, taillé à la mesure de tel étant, il y a toute une série d’autres λόγοι [logoi] qui peuvent être énoncés [à l’infini]. C’est ce qui fait qu’il y a quelque chose de tel que l’illusion.

Le langage apparaît donc comme la source proprement dite de l’illusion : L’être-là du langage comporte en soi la possibilité de l’illusion. C’est dans la factivité du langage que réside le mensonge.


Est-ce réellement un problème ? Il suffit peut-être de cesser de parler, s’en tenir à la simple perception, pour éviter l’erreur.

Impossible : ainsi que nous l’avons vu, la perception est d’ores et déjà langage. Cela vient de ce que, une fois encore, le langage n’est pas une caractéristique contingente de l’homme, mais définit le Dasein en propre, détermine la manière dont l’homme est là, au monde. Et le langage détermine sa vision du monde, sa perception : Nous vivons par le fait du langage lui-même, au sein d’une conception bien déterminée de ce qui est. Ce que Nietzsche exprimait ainsi : Chaque mot est un préjugé.

Ainsi, dans la mesure où le λόγος [logos] peut caractériser le Dasein de l’homme, il gouverne tout commerce de l’être humain avec son monde, toute vision, toute explicitation, toute énonciation.

De ce fait, il n’y a pas de stade pré-langagier, hors du logos, dans lequel nous pourrions fuir l’erreur et les préjugés, et la perception ne peut, pas plus que toute autre faculté, jouer ce rôle.


Concluons : l’homme lui-même est donc soumis, en tant qu’être de langage, au danger permanent de l’illusion ; la possibilité de l’erreur fait partie de son être même, avec et par le logos.


On comprend alors pourquoi la notion de « phénomène » a connu un tel glissement sémantique, un tel renversement de sens qui nous mène, rappelons-le, du phénomène compris comme ce qui est là en se montrant lui-même, l’étant qui se donne à nous dans sa vérité, à ce qui ne fait que paraître tel ou tel, ce qui n’est pas véritablement là, simple apparence qui ne nous révèle rien d’autre de l’étant, mais le recouvre, le dissimule.

Récapitulons les étapes de ce renversement :

1/ Le phénomène est ce qui apparaît dans la perception
2/ Or la perception est elle-même langage, relève du logos
3/ Mais dans le logos s’ouvre la possibilité de l’erreur
4/ De ce fait, la perception se révèle à nous comme ce qui peut nous mener à l’erreur
5/ Ce qui apparaît dans la perception, le phénomène, devient donc illusion possible, source potentielle d’erreur : il faut découvrir l’étant par un autre moyen.


Ce que Heidegger résume ainsi :

Le λόγος [le logos], qui apporte avec lui la possibilité fondamentale de l’illusion, fait que toute perception risque de se méprendre puisqu’elle est régie par le langage. Cela veut dire : les φαινόμενα [les phénomènes] […] sont ce sur quoi l’homme se méprend la plupart du temps ; en d’autres termes, ce qui, de prime abord, ne fait rien de plus que se montrer tout bonnement, voilà qu’il semble à présent être seulement tel ou tel, il ne fait plus que paraître.

Ou encore ce qui apparaît au sens de se montrer soi-même devient une apparence.


Nous avons saisi ici le renversement à l’œuvre dans la phénoménologie en son sens grec originaire. Nous voici mieux armés pour comprendre la nouvelle signification que Husserl a su donner à ce terme : que désigne la phénoménologie aujourd’hui ?

1 Les références des citations sont disponibles dans l'ouvrage Heidegger : lecture suivie