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Couverture du livre Le Post-Scriptum aux Miettes philosophiques de Kierkegaard

Résumé du Post-scriptum aux Miettes philosophiques (page 10)



Devenir subjectif, c’est penser à la mort : c’est cesser de fuir cette représentation perturbante, pour affronter courageusement celle-ci :


C’est justement en elle [la pensée de la mort] que réside le développement de la subjectivité, que l’homme en réfléchissant sur sa propre existence se travaille lui-même en agissant, qu’il y fait attention à chaque instant. Ici donc, tout devient toujours plus subjectif, comme il est naturel quand on s’efforce de développer la subjectivité.


La démarche objective, aboutissant à des propositions telles que si je prends une dose d’acide sulfurique, je meurs, de même que si je saute dans l’eau, si je dors dans l’oxyde de carbone, etc, ne résout naturellement pas le problème de la mort, mais lui ôte toute signification. Si je m’en tiens là, je ne puis absolument pas regarder la mort comme quelque chose que j’ai compris ; je passe à côté de ce problème.

Je m’ouvre au contraire, à ce problème, si je pense, chaque jour, à ma mort, que je médite le sens de cet événement, que je m’y prépare. Alors, sa représentation doit changer toute la vie d’un homme. C’est là encore, comme prier et agir moralement, une tâche infinie, ce par quoi on reconnaît son caractère existentiel : Voyez, si le fait de mourir doit être mis ainsi en relation avec toute la vie du sujet, je dois dire, même s’il s’agit de ma vie, que je suis très éloigné d’avoir compris la mort, et encore plus d’avoir réalisé ma tâche dans l’existence. Et pourtant j’y ai réfléchi sans cesse, j’ai cherché un guide dans les livres – et n’en ai pas trouvé.


Devenir subjectif, c’est également penser, à l’inverse, à la question de l’immortalité, de cette vie après la mort, cette béatitude éternelle à laquelle aspire le chrétien. Ce n’est pas essentiellement une question savante, elle est une question d’intériorité que le sujet lui-même doit poser en devenant subjectif. Objectivement on ne peut pas du tout y répondre, parce qu’on ne peut pas du tout objectivement poser la question de l’immortalité, car l’immortalité est justement la potentialité et le plus haut développement de la subjectivité. C’est seulement en devenant vraiment subjectif que la question peut se poser clairement, et comment alors pourrait-elle recevoir une réponse objective : […] deviens-je ou suis-je immortel ?.

Là encore, on peut fuir cette question de l’immortalité ; on peut ne pas se demander ce qu’il y aura après la mort, néant ou vie éternelle. Mais c’est là une fuite. Kierkegaard retrouve une intuition de Pascal ; celui-ci note, dans les Pensées, qu’il est stupéfait par ceux qui se désintéressent de ce problème :

Cette négligence en une affaire où il s'agit d'eux-mêmes, de leur éternité, de leur tout, m'irrite plus qu'elle ne m'attendrit ; elle m'étonne et m'épouvante, c'est un monstre pour moi.


On peut fuir cette question non seulement en refusant de se la poser, mais aussi en la posant de manière objective (par exemple en cherchant une démonstration de l’immortalité de l’âme). Or la conscience de mon immortalité m’appartient à moi tout seul ; au moment précis où je suis conscient de mon immortalité, je suis absolument subjectif et ne puis devenir immortel en compagnie de deux autres messieurs et à tour de rôle.

Mais le sort de ce partisan de l’approche objective est scellé : Comme il n’a pas employé sa vie à devenir subjectif, sa subjectivité est quelque chose d’indéterminé, un quelque chose en général, et cette détermination abstraite est justement l’indétermination.


Kierkegaard conclut ce chapitre en affirmant, avec une pointe d’ironie, qu’à rebours des innovations qui tendent à rendre la vie de ses contemporains plus facile (bateaux à vapeur, télégraphe…), il a décidé de rendre les choses plus « difficiles » : Je compris que ceci était ma tâche : de créer partout des difficultés. Ainsi, en questionnant le phénomène de la foi comme il le fait, on se rend compte qu’il n’est pas si évident que nous soyons chrétiens, par exemple.

Une profession de foi qui devrait être celle de tout philosophe depuis Socrate : identifier les fausses évidences, les problématiser, montrer les paradoxes ou les contradictions qui se cachent en elles, mettre au jour la complexité qui se cache sous les réductions simplistes.


On commence à présent à entrevoir ce qui se dissimulait sous l’expression « devenir subjectif », titre du premier chapitre de cette seconde section.

Mais un problème apparaît alors ; on sait ce qu’est une vérité objective, l’accord de la pensée et de l’être. Mais qu’est-ce qu’une « vérité subjective » ? Que devient la vérité, dans cette sphère dont Kierkegaard vient de montrer la légitimité ? Pour l’objectivisme, la notion de vérité subjective n’est qu’une contradiction dans les termes. Est-il donc possible de lui trouver un sens ? Dans ce cas, quel est-il ?

Tel est le problème que Kierkegaard va soulever dans le second chapitre de cette section, intitulé : La vérité subjective, l’intériorité : la vérité est la subjectivité.


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1 Les références des citations sont disponibles dans l'ouvrage Kierkegaard : lecture suivie