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Couverture du livre Le Post-Scriptum aux Miettes philosophiques de Kierkegaard

Résumé du Post-scriptum aux Miettes philosophiques (page 7)


Cette notion de « système de l’existence » n’est en réalité qu’un oxymore, une contradiction dans les termes. La raison en est simple : un système est quelque chose de clos, d’achevé, d’éternel, de nécessaire, où règne un parfait déterminisme afin que chaque élément du système se déduise d’un autre et trouve sa place.


L’existence au contraire est toute entière ouverture, liberté, contingence ; exister, c’est s’exposer à l’infini des possibles qui s’ouvre à nous, et ce moment d’ouverture, de liberté, ne s’achève qu’à… la mort. A ce moment-là, on peut dire : « les jeux sont faits ». Mais jusque-là, il reste toujours une possibilité de changer le cours des événements, modifier son propre destin, ce qui signifie qu’il n’y a justement pas de destin :

Etre un système et être clos se correspondent l’un à l’autre, mais l’existence est justement l’opposé […] l’existence est ce qui sert d’intervalle, ce qui tient les choses séparées, le systématique est la fermeture, la parfaite jointure 1.

Un système de l’existence est donc une contradiction dans les termes car la pensée systématique pour penser l’existence doit la penser comme abolie, et donc pas encore comme existante. Finalement Dieu seul peut concevoir un tel système, puisqu’il est en dehors de l’existence.


L’exemple le plus illustre de système en philosophie est probablement celui de Spinoza. Il a soulevé à l’époque l’indignation des religieux et de nombreux philosophes, car on considérait que celui-ci menait au panthéisme, donc à une hérésie, et abolissait la liberté et la différence entre le bien et le mal. En fait soutient Kierkegaard, tout système de ce genre volatilise d’une façon fantastique le concept de l’existence, et pas seulement les systèmes panthéistes : On a tort de n’affirmer cela que des systèmes panthéistes, bien plutôt aurait-on dû montrer que tout système, justement en raison de son caractère fini, doit être panthéiste.

Il ne sert donc à rien de combattre le système spinoziste en proposant, comme Hegel, un nouveau système, dans lequel on insère un paragraphe où on insiste sur l’importance du concept de l’existence. Ce faisant, on perd d’emblée ce qu’on cherchait pourtant à conserver, parce que la forme d’exposition de la pensée n’est pas adaptée et trahit son objet : l’existence.


Kierkegaard résume ce conflit entre système et existence, en se faisant le plaisir d’envoyer une petite pique en direction de Hegel :

L’existence doit être abolie dans l’éternel avant que le système ne soit clos, aucun résidu ne doit subsister, même pas la moindre breloque comme l’honorable professeur existant qui clôt le système.

Rappelons que Kierkegaard écrivait dans son Journal : Hegel n’est pas un penseur, mais un professeur.


Ici s’achève la première section du livre : celle-ci a présenté, rappelons-le, un exposé critique de l’approche objective du problème de la vérité du christianisme. Il est temps à présent de s’intéresser au problème qui présente un vrai intérêt selon Kierkegaard : celui de la réception subjective du christianisme.

Apparaît ici un tout autre genre de questions, qui, seules, ont une consistance : comment avoir la foi ? Comment devenir chrétien ? Comment ouvrir son cœur à Dieu ? Ce qui présuppose une question antérieure, qui sous-tend celles-ci : comment devenir subjectif ? C’est ce qu’il appelle le « problème subjectif ». On n’est pas encore là au stade religieux, mais dans un champ plus fondamental, et c’est probablement là encore un geste inaugural de l’existentialisme que de soulever, pour la première fois, une question de ce genre.

2nde section : Le problème subjectif, ou comment la subjectivité doit être pour que le problème puisse lui apparaître

Pour un partisan de l’approche objective (spéculation, science, etc.), le problème ne se pose pas : une idée est exposée, sa vérité est démontrée, on l’accepte, on lui donne notre assentiment.

C’est imaginer que la subjectivité est transparente, n’est qu’un réceptacle neutre qui accueille sans difficulté une vérité objective. Or c’est faux : Croire que le passage de quelque chose d’objectif à une acceptation subjective se produit immédiatement comme allant de soi peut être considéré comme un égarement dans l’illusion, car ce passage est justement ce qui est décisif.

En réalité, la subjectivité n’est pas neutre ou transparente. Si c’était le cas, il n’y aurait pas en fait de subjectivité, tout ne serait qu’objectif. En fait, nous sommes des sujets, et c’est là le point essentiel d’où il faut partir. Le problème alors devient tout autre : La question qui est posée ici n’est donc pas celle de la vérité du christianisme en ce sens que si elle était résolue, la subjectivité l’adopterait volontiers et vite. Non, la question est de savoir si le sujet l’accepte.


Dans le domaine religieux, la subjectivité est le véritable point de départ, car la foi est avant tout une décision, c’est-à-dire l’acte libre d’un sujet, et l’expression d’une personnalité : ici, le problème est la décision et […] toute décision réside dans la subjectivité.

Ce pourquoi le christianisme proteste ainsi contre toute objectivité et veut que le sujet se préoccupe infiniment de lui-même. Ce qu’il demande est la subjectivité en laquelle seule, s’il y a du tout une vérité, gît la vérité du christianisme.

On peut donc opposer, de ce point de vue, la science et la religion : La science veut nous apprendre que la voie à suivre est de devenir objectif, tandis que le christianisme nous apprend que la voie à suivre est de devenir subjectif, c’est-à-dire de devenir vraiment sujet.

1 Les références des citations sont disponibles dans l'ouvrage Kierkegaard : lecture suivie