couverture du livre Etre et temps de Heidegger

Résumé de : Etre et temps

Dans cette œuvre majeure, Heidegger, dans un dialogue avec la pensée grecque la plus ancienne, repose une question enfouie dès l'origine, dès lors qu'elle fut posée : la question de l'être. Cela l'amène à élaborer une ontologie fondée sur de toutes nouvelles bases : l'analytique existentiale du Dasein.

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Du même auteur : Introduction à la recherche phénoménologique - Correspondance avec Karl Jaspers




Ce que Heidegger entend ressusciter dans cet ouvrage, c’est une question très ancienne, formulée dès l’origine de la pensée grecque : la question de l’être.


Déjà en effet, quelques années avant Socrate, Parménide s’interrogeait sur la différence entre l’être (einai, εἶναι) et le non-être dans son célèbre poème.

Par exemple, dans ce passage :

Allons, je vais te dire et tu vas entendre
quelles sont les seules voies de recherche ouvertes à l’intelligence ;
l’une, que l’être est, que le non-être n’est pas,
chemin de la certitude, qui accompagne la vérité ;
l’autre, que l’être n’est pas: et que le non-être est forcément,
route où je te le dis, tu ne dois aucunement te laisser séduire.
Tu ne peux avoir connaissance de ce qui n’est pas, tu ne peux le saisir ni l’exprimer ;
car le pensé et l’être sont une même chose.1


Plus tard, Platon reprend cette interrogation, en particulier dans le dialogue du même nom, le Parménide, consacré aux rapports entre l’Un et l’Etre, puis le Sophiste, dans lequel il examine les liens de l’être et du non-être. Par exemple ici :

Entendons-nous d’abord sur l’être. Les philosophes ne sont pas d’accord sur le nombre des êtres : les uns en admettent trois, d’autres deux, les Éléates un ; les Muses d’Ionie et de Sicile admettent que l’être est à la fois un et multiple. En réalité, nous ne comprenons pas plus l’être que le non-être.
Questionnons ces philosophes. Vous qui prétendez que le tout est le chaud et le froid, qu’entendez-vous par être ? Est-ce un troisième principe ajouté aux deux autres ? Ou bien réservez-vous le nom d’être à l’un des deux, ou au couple ? Mais c’est affirmer que les deux ne sont qu’un.
Et vous qui prétendez que l’univers est un, vous affirmez qu’il n’y a qu’un être. Est-ce la même chose que l’un ? Alors, c’est deux noms pour une seule chose. Et le tout, dites-vous qu’il est autre que l’un, ou qu’il lui est identique ? Identique, répondrez-vous. Mais, si c’est un tout, il a des parties et par conséquent, il n’est pas l’un même qui n’a pas de parties, il participe seulement à l’unité. […]
Voilà des difficultés inextricables, et combien d’autres s’élèveraient contre quiconque prétendrait que l’être est deux ou qu’il n’est qu’un !


Aristote est un troisième penseur emblématique de la question de l’être.

En effet, il conceptualise, pour la première fois, la discipline qui a l’être pour objet d’étude, la science de l’être en tant qu’être, dans ce passage célèbre de la Métaphysique :

Il est une science qui considère l’Être en tant qu’Être, et qui considère en même temps toutes les conditions essentielles que l’Être peut présenter. Cette science-là ne peut se confondre d’aucune manière avec les autres sciences [dites particulières], puisque pas une de ces sciences étudie d’une manière universelle l’Être en tant qu’Être ; mais, le découpant dans une de ses parties, elles limitent leurs recherches aux propriétés qu’on peut observer dans cette partie spéciale. C’est ce que font, par exemple, les mathématiques.


De nos jours, on parle plutôt d’ « ontologie » pour désigner cette discipline qui prend l’être pour objet. Il s’agit là d’un terme assez récent, datant du 17ème siècle.


Ce qui précède n’est naturellement qu’un rapide aperçu des nombreuses réflexions qui ont pris l’être pour objet, dès l’aube de la pensée grecque.

Mais cela nous permet de rappeler comment ces trois penseurs, Parménide, Platon, Aristote, accomplissent cet acte inaugural : ils soulèvent la question de l’être.


Cependant, cette question sombre dans l’oubli dès lors même qu’elle est soulevée, selon Heidegger.

En effet, il soutient que dès que l’être est apparu au regard, et a été pris pour champ thématique de la réflexion, celle-ci s’est fourvoyée en confondant l’être et ce qui est, à savoir, l’étant.

A quoi renvoie cette distinction fondamentale ?


De même que le fait de croire et le croyant ne peuvent être confondus, ou que le fait de marcher est différent du marcheur, l’être est différent de l’étant.

C’est cela dont il faut prendre conscience en tout premier lieu, pour que la question de l’être nous apparaisse en propre : l’être n’est pas l’étant. Ce qui est est tout autre chose que le fait d’être, et nécessite une tout autre thématisation.

Ce que Heidegger exprime de façon particulièrement claire dans les Problèmes fondamentaux de la phénoménologie, un cours professé à l’université de Marbourg quelques mois après la parution d’Etre et Temps, qui reprend et approfondit, de manière souvent plus pédagogique, certains thèmes essentiels de ce dernier. Voici le passage en question :

Nous pouvons toujours, à tout moment et facilement, nous représenter et mettre en avant un étant relevant de tel ou tel domaine. […] L’étant c’est quelque chose, table, chaise, arbre, ciel, corps, mots, actions. Voilà de l’étant. Mais l’être ? […] peut-on se représenter quelque chose de tel que l’être ? Celui qui s’y essaye n’est-il pas saisi de vertige ? Et de fait nous sommes tout d’abord désemparés et nous ne saisissons que le vide.

Ou encore : L’ontologie – avons-nous dit – est la science de l’être. Mais l’être est toujours être d’un étant. De par son essence l’être est différent de l’étant. Comment doit-on envisager cette différence de l’être et de l’étant ?


Cette distinction essentielle entre l’être et l’étant, Heidegger la nomme la différence ontologique :

Nous devons nécessairement pouvoir marquer clairement la différence entre l’être et l’étant, si nous voulons prendre comme thème de recherche quelque chose comme l’être. Il ne s’agit pas là d’une différenciation quelconque, mais c’est seulement à travers cette différence que le thème de l’ontologie peut être conquis. Nous la désignons comme dif-férence ontologique, c’est-à-dire comme la scission entre l’être et l’étant.


1 Les références des citations sont disponibles dans l'ouvrage Heidegger : lecture suivie