couverture du livre Etre et temps de Heidegger

Résumé de : Etre et temps

Dans cette œuvre majeure, Heidegger, dans un dialogue avec la pensée grecque la plus ancienne, repose une question enfouie dès l'origine, dès lors qu'elle fut posée : la question de l'être. Cela l'amène à élaborer une ontologie fondée sur de toutes nouvelles bases : l'analytique existentiale du DDasein.

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Du même auteur : Introduction à la recherche phénoménologique - Correspondance avec Karl Jaspers




Or dès l’origine, la pensée tombe dans cette confusion, selon Heidegger. Et de fait, Aristote prête le flanc à cette objection, puisque plus loin dans la Métaphysique, il affirme que le sens fondamental de l’être est la substance (ousia), qui relève de l’étant, ou plutôt est l’étant par excellence.


C’est ce que l’on peut voir dans le premier chapitre du livre Z :

On ne saurait [...] décider si marcher, se bien porter, s’asseoir, sont, ou non, des êtres ; et de même pour tous les autres états analogues. Car aucun de ces modes n’a, par lui-même, une existence propre, aucun ne peut être séparé de la substance. [...] Ces choses ne semblent si fort marquées du caractère de l’être que parce qu’il y a sous chacune d’elles un être, un sujet déterminé.

Et ce sujet, c’est la substance, c’est l’être particulier qui apparaît sous les divers attributs. Bon, assis, ne signifient rien sans cette substance.

Il est donc évident que l’existence de chacun de ces modes dépend de l’existence même de la substance. D’après cela, la substance sera l’être premier ; non point tel ou tel mode de l’être, mais l’être pris dans son sens absolu.1


On voit dans ces lignes le destin funeste de la question de l’être, sitôt apparue, aussitôt disparue. Si la substance, qui relève de l’étant, est la vérité de l’être, la pensée va se concentrer sur celle-ci, et par là sur l’étant, et perdre de vue un questionnement essentiel.

Ces premières considérations nous suffisent pour comprendre l’horizon dans lequel la pensée de Heidegger se déploie. Il s’agit de renouer un dialogue, par-delà les siècles, avec Platon et Aristote, revenir à cette question originaire, dont ils ont eu l’intuition, mais qu’ils n’ont fait qu’esquisser, effleurer, avant de la perdre.

A présent, nous saisissons mieux le sens de cette injonction de Heidegger, dans la remarque liminaire qui ouvre l’ouvrage : Il s’impose de poser à neuf la question du sens de l’être.

Sans plus tarder, ouvrons donc Etre et Temps, et plongeons-nous dans le fil du texte comme on se plongerait dans un courant bienfaisant…

Introduction : l’exposition de la question de l’être

Chap. 1 Nécessité, structure et primauté de la question de l’être

Heidegger ne se lance pas ici dans une vaste synthèse historique ; il ne cherche pas à résumer les différentes réponses que cette question a reçues dans l’histoire de la philosophie. Et pour cause : il n’y a pas d’histoire de cette question puisqu’elle est tombée dans l’oubli dès son apparition. De ce fait, le tableau est rapide. Platon et Aristote, ainsi que Hegel ne sont mentionnés qu’en passant :

C’est [cette question] qui a tenu en haleine la recherche de Platon et d’Aristote, avant de s’éteindre bien entendu après eux, du moins en tant que question thématique d’une recherche effective. Ce que ces deux penseurs avaient conquis s’est maintenu au prix de diverses déviations et « surcharges », jusque dans la logique de Hegel.


Heidegger se concentre sur le présent, plutôt que sur le passé. Qu’est-ce qui fait que cette question n’a plus aujourd’hui, pour ses contemporains, en ce début de 20e siècle, de sens ou d’intérêt ?

Trois préjugés nous empêchent de consacrer à cette question l’attention qu’elle mérite. Ce sont eux qui sont à l’origine de ce désintérêt contemporain. Heidegger va s’efforcer de les réduire un par un.


1. L’être est le concept le plus universel. Heidegger répond que « l’universalité » de « l’être » n’est pas celle du genre, mais que « l’universalité » de l’être « transcende » toute universalité générique, ce qu’a aperçu Aristote en en faisant quelque chose de différent des catégories, surplombant celles-ci. Mais que désigne cette universalité d’un nouveau genre ? A quoi renvoie-t-elle ? Autrement dit, quel est le lien entre l’être et les catégories ? Ni Aristote, ni l’ontologie médiévale n’ont su répondre à cette question. Aussi pour l’instant rien n’est assuré concernant l’universalité de l’être.

2. L’être est un concept indéfinissable, puisqu’on définit quelque chose en indiquant son genre et son espèce (par exemple l’homme est un homo sapiens), or il n’y a pas de genre qui se tiendrait au-dessus de l’être : L’être n’est ni dérivable de concepts supérieurs ni exposable à l’aide de concepts inférieurs. Heidegger répond : tout ce que cela permet de conclure, c’est que l’on ne peut définir l’être à partir de prédicats relevant de l’étant. Mais cela ne met pas fin au problème de l’être, ne le résout pas : il reste entier.

3. L’être est un concept évident : tout le monde comprend le sens de ce mot employé dans tout jugement, comme le « ciel est bleu », « je suis joyeux ». Il n’y a donc pas de problème de l’être, mais son contraire exact : une évidence de l’être. Heidegger répond que cette intelligence moyenne ne démontre guère qu’une incompréhension. On aboutit à ce paradoxe intrigant, qui devrait nous inciter à penser ce problème plutôt que de l’abandonner :

Que toujours déjà nous vivions dans une compréhension de l’être et qu’en même temps le sens de l’être soit enveloppé dans l’obscurité, voilà qui prouve la nécessité fondamentale de répéter la question du sens de « l’être ».


On le voit : la question de l’être n’est pas vide de sens, et il n’y en a pas de réponse évidente. Il ne faut donc pas l’écarter, mais l’affronter courageusement.


1 Les références des citations sont disponibles dans l'ouvrage Heidegger : lecture suivie