couverture du livre Etre et temps de Heidegger

Résumé de : Etre et temps

Dans cette œuvre majeure, Heidegger, dans un dialogue avec la pensée grecque la plus ancienne, repose une question enfouie dès l'origine, dès lors qu'elle fut posée : la question de l'être. Cela l'amène à élaborer une ontologie fondée sur de toutes nouvelles bases : l'analytique existentiale du Dasein.

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Du même auteur : Introduction à la recherche phénoménologique - Correspondance avec Karl Jaspers





Quel doit être le point de départ de cette recherche, de cette ontologie fondamentale ? Par où commencer ?

Appuyons-nous sur un point essentiel qui nous est apparu plus haut : l’homme a quelque chose de spécifique, par rapport aux autres étants. Il a un rapport insigne, privilégié à l’être, que Heidegger résume ainsi : Pour cet étant, il y va en son être de cet être1.

Qu’est-ce que cela signifie ?


Tout d’abord que le Dasein ne se borne pas à apparaître au sein de l’étant, mais a, ainsi qu’on l’a vu, une précompréhension de l’être. Seul l’homme peut penser l’être, le prendre pour objet de ses méditations, chercher à le définir.

Même lorsqu’il n’y pense pas, il en a toujours une précompréhension implicite : chacun sait ce que signifie « est », dans une phrase comme « le ciel est bleu », sans parvenir à l’expliquer. Une sorte de paradoxe que, rappelons-nous, Heidegger nous invitait à méditer ainsi : Que toujours déjà nous vivions dans une compréhension de l’être et qu’en même temps le sens de l’être soit enveloppé dans l’obscurité, voilà qui prouve la nécessité fondamentale de répéter la question du sens de « l’être ».


De ce fait, il appartient à la constitution d’être du Dasein d’avoir en son être un rapport d’être à cet être.

Cela amène Heidegger à cette conclusion surprenante : l’homme est lui-même ontologique : Le privilège ontique du Dasein consiste en ce qu’il est ontologique.


Mais on peut trouver un second sens à cette proposition pour cet étant, il y va en son être de cet être.

L’homme a un autre rapport à l’être : il ne se contente pas d’en avoir une compréhension, il est, lui-même, il existe. L’ « existence » est ce rapport à l’être, ce mode d’être, cette « guise d’être », qui caractérise le Dasein.

Heidegger la définit ainsi :

L’être lui-même par rapport auquel le Dasein peut se comporter et se comporte toujours déjà d’une manière ou d’une autre, nous l’appelons existence. Et comme la détermination d’essence de cet étant ne peut être accomplie par l’indication d’un quid réal, mais que son essence consiste bien plutôt en ceci qu’il a à chaque fois à être son être en tant que sien, le titre Dasein a été choisi comme expression ontologique pure pour désigner cet étant. Le Dasein se comprend toujours déjà soi-même à partir de son existence, d’une possibilité d’être lui-même ou de ne pas être lui-même. Ces possibilités, le Dasein, les a lui-même choisies, ou bien il est tombé en elles, ou bien il a toujours grandi en elles ; l’existence est toujours et seulement décidée par le Dasein lui-même, sous la forme d’une saisie ou d’une omission de la possibilité. La question de l’existence ne peut jamais être réglée que par l’exister lui-même

.

Ces quelques lignes ont une importance capitale : voici, exprimé en toutes lettres, pour la première fois, le principe fondateur de l’existentialisme. Ce passage va fortement marquer Sartre ; quelques années plus tard, il en fera le point de départ de sa propre pensée.


Reprenons du début : l’homme n’a pas de « quid réal ». Quid signifie « ce qu’est » une chose, son essence. « Réal » désigne la chose (« res » en latin). Heidegger veut donc dire qu’à la différence d’une chose, telle qu’un stylo, l’homme n’a pas d’essence. En revanche, il a une existence, ou plutôt il existe. Alors que le stylo sera toujours un stylo et ne peut être que cela, l’homme a le choix entre différentes possibilités. Il n’est pas ceci ou cela, mais peut choisir de faire le bien, le mal, d’être marin, salarié, homme politique, et de changer cela à tout moment… Rien ne peut venir guider l’homme dans ses choix, ainsi que le souligne la dernière phrase : La question de l’existence ne peut jamais être réglée que par l’exister lui-même.


Voici la relecture qu’en propose Sartre, dans l’Existentialisme est un humanisme. Il exprime la même idée en des termes bien plus accessibles, dans un ouvrage adressé au grand public, avec ce génie des formules qui le caractérise :

Il y a au moins un être chez qui l’existence précède l’essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et […] cet être c’est l’homme ou, comme dit Heidegger, la réalité humaine. Qu’est-ce que signifie ici que l’existence précède l’essence ? Cela signifie que l’homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu’il se définit après. L’homme, tel que le conçoit l’existentialiste, s’il n’est pas définissable, c’est qu’il n’est d’abord rien. Il ne sera qu’ensuite, et il sera tel qu’il se sera fait. Ainsi, il n’y a pas de nature humaine, puisqu’il n’y a pas de Dieu pour la concevoir. L’homme est seulement, non seulement tel qu’il se conçoit, mais tel qu’il se veut, et comme il se conçoit après l’existence, comme il se veut après cet élan vers l’existence ; l’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait

.

Même si Heidegger prend publiquement ses distances avec l’existentialisme sartrien dans sa Lettre sur l’humanisme, quelques années plus tard, ce texte de Sartre est précieux parce qu’il met en lumière le caractère révolutionnaire de ce passage de l’introduction d’Etre et Temps.


On comprend donc à présent le second sens de cette proposition pour cet étant, il y va en son être de cet être. Ce qui se joue à chaque instant, pour le Dasein, c’est son être, parce qu’il le choisit, le construit, en tant qu’il existe. Il a un rapport unique, spécifique, privilégié à l’être, parce qu’il existe. C’est cela, aussi, qu’exprime cette formule énigmatique.


1 Les références des citations sont disponibles dans l'ouvrage Heidegger : lecture suivie